L'apiculture ne se soustrait pas à l'ampleur de la vague écologique qui, tel un tsunami, ne cesse de déferler et de s'infiltrer subrepticement à tous les niveaux. Autrefois réservée à une poignée d'individus perçus alors comme des originaux, elle est en quelques années devenue la pierre angulaire de tous les systèmes et tend, à force de transpiration, à s'imposer comme une nécessité dans les réflexions. C'est ainsi que les sociétés apicoles voient arriver de nouveaux membres, parfaitement débutants et prêchant pour la ruche Warré au grand étonnement des anciens.
S'ensuivent d'interminables discussions dignes d'un conflit de générations ! Après des décennies d'oubli, la Warré est bel et bien ressortie des cartons !
Mais que vaut donc à l'abbé Emile Warré(1867-‐1951) d'être régulièrement cité comme étant le dernier « grand » apiculteur ?
Un peu d'histoire....
Il vécut dans la Somme puis dans l'Indre-et-Loire.
Il s'intéressa et étudia tous les modèles de ruches existant à l'époque : Dadant, Langsthroth, Voirnot, Layens, Duvauchelle, Jarry, Congrès... Pour chacune d'elles, il construisit un minimum de douze ruches, et en tout pas moins de 350 afin de faire des études comparatives sur des périodes de plus de 10 ans.
Il observa les points suivants :
* dans la nature les colonies construisent toujours du haut vers le bas ;
* le miel est stocké dans la partie supérieure ;
* il est rare d'observer des constructions de plus de huit rayons ;
* l'hiver, le diamètre de la grappe ne dépasse pas 30 cm.
Il décria vivement la ruche Dadant lui reprochant :
* sa conduite qui nécessite de nombreuses visites, celles-ci contrariant l'abeille ;
* une dimension qui n'est proportionnée ni à la taille, ni à la forme de la grappe ;
* la forte baisse de température de la chambre à couvain lors des ouvertures ;
* une conduite nécessitant beaucoup de temps ;
* le coût de fabrication élevé (dû notamment aux cadres), facteur important à cette époque de deuxième guerre mondiale.
Après beaucoup de recherches personnelles, il mit donc au point sa ruche populaire, ruche qu'il voulut être la plus proche de l'environnement naturel de l'abeille. La Warré était née. Preuve de son succès, l'ouvrage de l'abbé Warré, L'apiculture pour tous, en est à sa douzième réédition.
Soixante dix ans après la conception de cette ruche, je vous propose que nous revisitions ses différents avantages mais aussi bien entendu ses inconvénients.
Mais auparavant, revenons encore bien en arrière, aux balbutiements de l'apiculture. La ruche en paille ou osier, en forme de cloche, est à mon avis celle où l'abeille se sent vraiment le mieux. Sa taille et sa forme sont particulièrement bien adaptées à la forme de la grappe. Et c'est une ruche respirante de par la nature de ses parois.
Toujours en terme de qualité d'habitacle et de confort de vie de nos avettes, la ruche Warré vient tout de suite après.
Voyons donc à présent ses avantages :Un matériel simple et rationnel
Cette ruche est divisible. Les éléments sont de forme carrée 35 cm x 35 cm. Le format étant unique, c'est le même élément qui servira aussi bien au stockage du miel, qu'à l'élevage de la colonie ou à la collecte d'essaims. Ainsi, fini l'inconvénient d'avoir un format différent pour chaque élément : hausse, corps, ruchette. Quelle simplification !
Vous souhaitez encore un exemple de simplicité ? Il n'y a pas de cadres ! Huit barrettes sont simplement déposées sur la partie supérieure de l'élément. Les abeilles ont physiologiquement besoin de bâtir et elles n'ont absolument pas besoin de cire gaufrée. Elles savent parfaitement faire sans cela. L'abbé Warré a précisé la possibilité d'utiliser des cadres si on le souhaite. Ce serait vraiment dommage pour cette ruche qui n'est déjà pas grande. Je n'y vois personnellement que trop peu d'intérêt.
Mode d'emploi
Vous placez un essaim dans un élément. L'espace n'étant pas très grand il va pouvoir se développer dans des conditions de température optimales. Les cirières se mettent au travail et bâtissent les rayons. Environ un mois plus tard, la colonie se sera développée et aura rempli les trois quarts de la boite. Rajoutez alors un élément par le dessous afin de lui permettre de continuer ses constructions vers le bas comme à l'état naturel. Si la reine est jeune il faudra bientôt rajouter un troisième élément. Mais attention, cette opération se fera à l'aide d'un élévateur, instrument permettant de porter mécaniquement la ruche afin de glisser un nouvel élément entre l'élément du bas et le plancher.
L'élevage
La multiplication des colonies est très facile avec la ruche Warré. Lorsque la colonie est populeuse et qu'elle s'est bien développée sur trois éléments, il suffit de la diviser en deux puis de rajouter un élément dessous. Enfin, il faut éloigner la nouvelle ruche à plus de 3 km. Et voilà, c'est fini, nous avons deux colonies !
Une température optimale
La chaleur, en particulier au moment du démarrage de la ponte, est nécessaire au bon développement du couvain. Sa température oscille entre 34 et 36°C, généralement 35°C. Du fait de sa taille, le niveau de température à l'intérieur de la Warré est plus élevé que dans une ruche moderne, optimisant ainsi le développement de la colonie et limitant partiellement la pression Varroa. Car, comme on le sait, celui-‐ci ne se développe plus, voire meurt lorsqu'il évolue dans un environnement dont la température devient supérieure à 36°C. L'inertie thermique de la cire neuve (voir ci-‐dessous) assure un chauffage homogène et permanent du couvain.
Les vitres !
Autre point positif de la Warré : ses incontournables vitres ! Ainsi, vous allez observer la vie des abeilles en les dérangeant le moins possible. Comme tous les apiculteurs sérieux le savent, l'ouverture d'une ruche, aussi brève soit-‐elle, perturbe la colonie. C'est ainsi que les vitres arrière permettent l'observation dans les meilleures conditions et apportent un intérêt éducatif et pédagogique absolument remarquable. C'est pourquoi tout apiculteur devrait avoir au moins une Warré dans son jardin, à quelques mètres de sa maison, afin de pouvoir jouir de la magnificence que nous présente le spectacle sans cesse renouvelé de la vie de la colonie.
Une VMC !
Autre particularité de notre ruche : sa ventilation mécanique ! A moins que vous ne viviez dans une maison très ancienne disposant de beaucoup de charme, concevriez-‐vous aujourd'hui de vivre dans une maison sans aucune circulation d'air ? Bien sûr que non ! Ce n'est pas sain et l'on a besoin de vivre dans une atmosphère où l'air vicié est régulièrement renouvelé. Il en est de même pour nos avettes ! J'ai souvent été étonné que ce point pourtant si élémentaire soit occulté en apiculture. Il y a pourtant peu de temps que l'on fait vivre nos abeilles dans des boîtes quasi hermétiques. Les anciens se rappellent bien de leurs ruches recouvertes de toiles de jute et du petit trou dans le toit permettant une circulation d'air dans la ruche. La Warré est ainsi équipée d'une chambre de ventilation, toit de beau volume dont chaque côté est percé d'un large orifice recouvert d'une moustiquaire. L'élément du haut est recouvert d'une grille à propolis. Certains rapportent qu'il n'est pas très rare au cours d'une même journée d'observer la propolisation et la dépropolisation de la grille selon les propres besoins de la colonie à ce moment là. C'est véritablement un système d'aération autorégulé par les abeilles.
Une atmosphère moins humide
Un mois de septembre, il m'est arrivé de constater, à travers la vitre d'une ruche à deux éléments, la présence anormale d'un excès d'humidité. Je me suis alors aperçu que j'avais oublié de remplacer la toile plastique recouvrant la ruche (que j'utilise pour le développement d'essaims afin qu'ils aient le plus chaud possible) par la grille à propolis. Après y avoir remédié, force fut de constater que le problème d'humidité avait le lendemain définitivement disparu. A noter que l'air vicié et humide des ruches modernes est un facteur favorisant le développement de maladies : nosémose, acariose, ascophérose...
Une isolation thermique et phonique.
Afin d'assurer une bonne isolation hivernale, je place sous le toit un coussin isolant et respirant en chanvre d'une épaisseur de 5 cm. Un petit caisson avec fond grillagé est prévu à cet effet. Le toit en bois assure le calme à l'intérieur de l'habitacle. Le bruit de la pluie sur les toits tôlés non isolés doit être vraiment pénible pour les abeilles, et source de stress vraiment inutile.
Un trou de vol anti frelons !
Le plateau de la Warré est conçu de telle sorte que la largeur de l'entrée de la ruche est réduite à 12 cm. C'est intéressant dans le contexte actuel, la garde contre les frelons devenant une garde rapprochée puissante. Il fut probablement des époques où le Vespa Crabro était un véritable fléau pour nos avettes, ce qui expliquerait les quelques trous ronds de 1cm de diamètre constituant l'entrée de certaines de nos anciennes ruches. Le fond est bien entendu plein et non grillagé afin de maintenir une température élevée de l'habitacle. A noter que, contrairement à une idée répandue, les plateaux grillagés ne permettent pas de diminuer la pression varroa, les varroas tombant à travers la grille étant la plupart du temps des varroas morts.
Une conduite simple et naturelle !
La conduite de la ruche Warré est simple. Son principe, tel que son créateur le concevait, était de laisser évoluer la colonie dans un habitacle répondant au mieux à ses exigences avec le moins d'interventions possibles. Le comportement des abeilles devient particulièrement doux dans ces ruches. Dans l'esprit de son concepteur (à l'époque), c'est une ruche que l'on n'ouvre pas et où la place de l'intervention humaine est limitée à sa plus simple expression. C'est à dire que nous devons laisser le processus naturel agir. Nous nous plaignons de la mortalité des colonies. Mon cœur se remplit de joie et d'espoir lorsque je vois un ancien me montrer un conduit de cheminée et m'expliquer qu'il y a toujours vu des colonies d'abeilles. Certes il y a eu remérages. Probablement mortalités suivies de repeuplements naturels par l'arrivée de nouveaux essaims trouvant l'emplacement confortable. Mais n'est-‐ce pas finalement ce que recherche l'apiculteur écologiste?
En début de miellée, l'apiculteur novice n'aura pas à s'inquiéter -‐ comme avec une ruche moderne -‐ de savoir s'il est temps ou non de placer les hausses. La date à laquelle nous agrandissons la ruche n'a pas beaucoup d'importance puisque cela se fait par le bas et n'a donc que très peu de répercussion sur la température de la chambre à couvain. L'agrandissement par le haut des ruches modernes présente des avantages, notamment de manipulation mais est contre nature. De plus il ralentit la ponte et freine le développement des colonies (Pierre Jean Prost, Yves Le Comte Apiculture 7ème Ed, p 313). Donc, en cas de miellée continue et faible, en ville par exemple, ne pas hésiter à agrandir assez tôt. Ainsi, pas un jour de miellée n'est perdu !
Voyez la construction des cires. Les abeilles vont peut-‐être construire le premier élément dans le sens des barrettes. Mais le deuxième élément pourra être construit différemment, en diagonale par exemple. Pourquoi ? Nous ne le saurons peut-‐être jamais. Les abeilles ont leur stratégie. Si elles construisent dans un sens plutôt que dans un autre elles ont leurs raisons : champs telluriques, magnétiques, circuits énergétiques, canaux de ventilations ? En tous cas qu'elles bâtissent dans un sens ou dans un autre n'a pas d'importance pour nous dans la mesure où les cires seront cassées au moment de la récolte. Une construction dans l'axe des barrettes nous permet d'avoir une vue en coupe des rayons et de pouvoir mener à bien le contrôle sanitaire. Une construction en diagonale nous offre une pleine vue sur le rayon extérieur stockant du miel, du pollen mais aussi sur les cellules de mâles.
Des cires irréprochables en renouvellement automatique !
Le problème de qualité des cires gaufrées est de plus en plus soulevé. Étant une substance lipidique, la cire absorbe les produits de synthèse. Le risque de migrations d'éléments indésirables (pesticides, herbicides, traitement contre le varroa...) est pris très au sérieux par la filière apicole. Il en est de même du risque de contamination par les maladies. Les cires à destination des gaufres sont chauffées à 105°C. Or, il faut atteindre 130°C pour détruire les spores de loque américaine. Bien que des structures commerciales et associatives s'organisent afin de fournir à leurs adhérents des gaufres provenant de cire d'opercules, rien ne prouve qu'un petit malin ne va pas glisser un peu de cire en provenance du corps. Aucun contrôle qualité digne de ce nom n'est effectué. La Warré offre quant à elle un atout considérable, aucune cire gaufrée préfabriquée et/ou en provenance d'autres ruche n'étant utilisées. Au fur et à mesure des récoltes, la cire bâtie l'année N-‐1 est détruite. Nous avons ainsi toujours des cires récentes et de qualité irréprochable sur lesquelles les abeilles préfèrent toujours pondre. L'excellente conduction de la chaleur sur ces cires optimise aussi le développement du couvain.
Une taille d'alvéoles adaptée à la morphologie de l'abeille
Les abeilles étant leurs propres architectes, elles construisent bien entendu des alvéoles parfaitement adaptées à leur taille. Ceci n'est pas le cas avec les cires gaufrées pour lesquelles le format du fond de l'alvéole est imposé par l'homme.
Une ruche saine !
Vous comprendrez que l'ensemble de ces atouts en font une ruche sûre au plan sanitaire, et que la présence de maladies y est plus rare que dans les ruches modernes. De plus, le fait qu'il n'y ait aucun apport de cire en provenance de ruches extérieures limite les risques de contamination d'une ruche à l'autre.
Une manutention légère !
Enfin, son faible poids et son faible encombrement rendent cette ruche intéressante pour toute personne pour qui les manutentions de ruches modernes peuvent poser problème. Les personnes âgées, celles ayant des problèmes de santé ainsi que les femmes trouveront beaucoup d'avantages dans la Warré.
Nous avons vu que l'abbé préconisait de ne jamais ouvrir une ruche. C'est pourquoi nous utilisons les chariots élévateurs pour l'ajout d'éléments. Je tiens cependant à préciser qu'aujourd'hui des apiculteurs professionnels ainsi que des amateurs, par souci de rapidité, n'utilisent pas ce chariot. Ils emboîtent et dés emboîtent les éléments comme des pièces de Légo. Lorsqu'un pont de cire fixe les éléments ensemble celui-‐ci cèdera facilement soit grâce à un fil (type fil de potier), soit grâce à une légère rotation de l'élément dans un sens puis dans l'autre.
Le miel d'autrefois au parfum inimitable !
La récolte se fera par écoulement et non par pressage comme on peut le lire quelquefois. Si l'on possède seulement quelques ruches, les cires qui seront brisées à la main dans un bac à désoperculer, verront le miel s'écouler naturellement. Dans les cas où le miel est peu liquide, je laisse l'écoulement se faire une nuit entière. Le lendemain matin, les cires sont sèches.
Pour les personnes ayant un nombre de ruches plus important ainsi que pour les professionnels, il existe aujourd'hui un appareil mis au point par Gilles Denis, une moulinette équipée de griffes permettant une extraction efficace et rapide. Ainsi ce miel ne sera ainsi pas oxydé par une extraction rotative centripète. Le contact avec l'air oxyde en effet inévitablement un peu le miel. Celui-‐ci conservera donc tous ses arômes associés à une très subtile saveur de cire rappelant le goût du miel d'antan.
Un produit final à forte valeur économique.
La demande pour ce type de miel est forte ; il peut se vendre à très bon prix.
Un grenier craquant sous le miel !
Voici un autre des principaux avantages de notre ruche. L'hivernage se fait en général sur deux éléments mais peut se faire aussi sur trois selon l'importance de la colonie et le stock de miel que l'on souhaite laisser à sa disposition comme nourriture pour passer l'hiver. Car, en Warré, l'apiculteur ne récolte que l'excédent de miel, celui dont la colonie n'aura pas besoin. Ainsi les ruches seront hivernées à un poids de 15 à 20 kg. Vous comprenez donc que cette ruche ne se nourrit pas l'hiver par des apports extérieurs de candi. Les seuls cas où je suis amené à nourrir, c'est pour les essaims de l'année qui possèdent un niveau de provisions insuffisant pour passer tranquillement l'hiver. Mais l'année suivante, c'est terminé ! La meilleure nourriture pour l'abeille, la plus adaptée à ses besoins physiologiques et la plus gustative n'est-‐elle pas en effet son propre miel ?
Nous voyons que cette ruche offre de nombreux avantages. Est-‐ce pour autant la ruche parfaite permettant de régler tous les problèmes actuels de l'apiculture ?
Absolument pas ! Si la qualité d'une ruche est une des conditions de la réussite elle n'en est cependant hélas qu'un maillon, l'élément majeur et déterminant étant de toute évidence les facteurs environnementaux. En particulier, une nourriture abondante et variée, de qualité et bien entendu dépourvue de traitements contre les pesticides. Mais gardons toujours en mémoire cette règle économique que j'aime transposer en apiculture : ce n'est pas parce qu'un marché économique ne représente que 10% d'un marché global qu'il doit être sous-‐estimé. Par expérience personnelle, la considération et l'exploitation de cette niche permettent bien souvent d'arriver à atteindre nos objectifs. Aussi la qualité de l'habitacle reste très importante.
La conduite de la Warré évolue aussi. Par exemple : les plus traditionalistes conserveront le chariot élévateur sans jamais ouvrir la ruche alors que d'autres, habitués à l'apiculture moderne, n'hésiteront pas à le faire et à poser et déposer les éléments comme les pièces d'un légo. Selon les objectifs et la sensibilité de chacun la conduite de la Warré est donc bien différente.
Et la race d'abeilles ?
L'abbé Warré conseilla d'introduire de temps en temps dans son rucher une reine étrangère. Ne nous éloignons nous pas là d'une pratique écologique ?
A ce propos, et afin de tenter un parallèle entre les évolutions agricoles et apicoles, considérons un instant la filière bovine. Nous sommes arrivés à force de près d'un siècle d'efforts et de sélections à obtenir des races bovines très productives.
Cependant, depuis une vingtaine d'années déjà les agriculteurs retrouvent avantage à développer des cheptels de races rustiques telles que la Salers, l'Aubrac, la Parthenaise... Certes moins productives, elles présentent cependant des intérêts évidents compensant largement ce manque : meilleure résistance aux maladies, moins exigeante quantitativement et qualitativement en nourriture, adaptables aux climats rigoureux, chair délicieuse... Cela nous ramène en apiculture à notre bonne et vieille abeille noire qui fut un temps délaissée au profit d'autres races mirifiques mais à qui on reconnaît finalement aujourd'hui de grandes qualités : adaptation au climat, économe, travailleuse, autonome, ne nécessitant pas un suivi technique important et donc coûteux... L'herbe est elle plus verte ailleurs qu'ici ?
Je ne saurais terminer cet article dans lequel on aimerait bien avoir trouvé la ruche idéale sans hélas présenter honnêtement ses quelques inconvénients.
Édifice instable
La taille de la ruche en pleine saison peut atteindre 1 m 50. Habitant à 100 mètres de la mer, face à un environnement climatique de plus en plus instable et à des vents de plus en plus violents, je suis contraint à haubaner les ruches. Pour cela, je me sers de cordes à toiles de tente que je maintiens au sol à l'aide de piquets utilisés pour les laisses de chien. Ces piquets en forme de spirale se plantent très facilement à la main et restent indé-logeables.
Manipulations contraignantes.
L'agrandissement par le dessous nécessite des manipulations.
Diagnostic varroa difficile.
Le plateau, avec son entrée limitée dans sa largeur, ne permet pas la mesure de la pression Varroa par des langes. Il faut alors retirer le plateau pour en faire une minutieuse observation.
Contrôle sanitaire limité.
Enfin le contrôle sanitaire est plus délicat que dans une ruche moderne. Devenu aujourd'hui nécessaire, il est l'une des pierres angulaires de la réussite apicole. Il pourra se faire par le dessous, en entrebâillant deux éléments puis en écartant les gaufres. Mais l'observation ne sera que partielle. Par le dessus si il n'y a pas plus de deux éléments. En effet, si il y a trois éléments, l'élément du haut sera garni de miel et dépourvu de couvain, donc sans intérêt sanitaire. Donc, si il y deux éléments, dans celui du haut, repérez dans un premier temps par la vitre le rayon qui n'adhère pas à celle-‐ci. Délicatement soulevez la barrette avec le rayon. Si la ruche est composée de trois éléments, alors vous devez en retirer au moins un pour accéder à celui qui vous intéresse. Dans l'élément du bas les cires n'adhèrent pas à la vitre et il est facile de retirer le rayon. Autre solution : mettre un montant porte-‐rayon d'une petite dizaine de centimètres de part et d'autre de la barrette afin que le rayon ne colle pas à la vitre. Vous contraignez alors les abeilles à construire dans l'axe longitudinal.
Traitement par AMM impossible.
Ceci est à mon sens le gros problème. Si à l'époque de l'abbé Warré les abeilles étaient en parfaite santé, ce n'est pas le cas aujourd'hui et les colonies peuvent nécessiter de recevoir un traitement, en particulier un traitement contre le varroa. Or des résidus de traitements se retrouveront dans les cires. Ce sont ces cires qui, en N+1, recevront le miel et par migration ce dernier sera contaminé.
Absence de flexibilité dans les divisions.
Afin de limiter l'essaimage naturel et de créer des essaims, on peut très facilement, sur une ruche à cadre, retirer au printemps deux cadres de couvain et un ou deux cadres de miel et pollen selon la force de la colonie sans compromettre sa production de miel pour la saison. Or, avec la Warré, cette flexibilité n'existe pas et nous devons diviser directement la ruche en deux. Bien entendu nous pouvons mettre des cadres dans la Warré mais nous nous éloignons alors de sa philosophie initiale. De plus, leurs montants nous enlèveraient la visibilité.
Quid de la qualité du miel ?
Le miel est stocké dans des alvéoles ayant contenu le couvain de l'année précédente. Ces alvéoles sont parfaitement nettoyées et propolisées par les abeilles avant tout dépôt de miel. l'intérieur de la cavité est donc impeccable. Par contre, lorsqu'on brise la cire au moment de l'extraction, le miel entre en contact avec le cœur (beaucoup moins irréprochable) de l'alvéole. En effet, rappelons que la cire de couleur noire contient des excréments d'abeilles expulsés au moment où le cocon est filé. Même si dans la Warré, les cires sont remplacées chaque année, il n'empêche que la cire N +1 dans laquelle est stocké le miel n'est pas pure. Elle contient également le cocon nymphal. Il serait intéressant d'effectuer des analyses afin d'évaluer avec précision le degré d'infection.
Que répondre à la question posée au début, la ruche Warré est-‐elle une ruche réellement écologique ou bien un effet de mode ?
Ruche écologique ? Nous avons vu tout au long de cet article ses nombreux atouts qui la place de toute évidence parmi les ruches les plus écologiques qui soient, après bien entendu les ruches de jadis, rondes et tressées.
Effet de mode ? Oui, certainement, du fait que ce soit justement une ruche écologique – donc très tendance.
Il ne faut cependant pas oublier qu'elle comporte des inconvénients, notamment d'ordre sanitaire qu'on ne peut occulter.
Chacun d'entre nous pourra donc se déterminer selon ses priorités et sa sensibilité.
Entre une conduite du « laisser faire » et une conduite hyper interventionniste comme elle se pratique aujourd'hui outre Atlantique, il y a peut-‐être un juste milieu à trouver, qu'en pensez-‐vous ?
L'intérêt de l'engouement pour la Warré permet de revisiter en toute innocence et sans parti pris une ruche oubliée; de remettre en perspective et en lumière notre pratique apicole en interrogeant les certitudes établies. Avec cette approche nous ré abordons ainsi les fondamentaux sous un éclairage neuf.
La quête écologique est très louable. Mais si nous voulons vraiment aller jusqu'au bout du raisonnement écologique, laissons les abeilles vivre tranquillement leur vie dans les creux des troncs d'arbres séculaires et dans nos vieilles cheminées ! Et, comme la tradition se perpétue depuis plus de 12 000 ans (grotte de l'araignée à Valence), récoltons le miel sauvage dans la nature (sic) !
Bibliographie :
L'apiculture pour tous de l'abbé Warré (Coyote éditions) La ruche Warré de Gilles Denis (édition Gilles Denis)
L'apiculture telle que je l'aime et la pratique de Marc Gatineau (édition Marc Gatineau)
L'apiculture écologique de A à Z de Jean-‐Marie Frères et Jean-‐Claude Guillaume, (édition J-‐CL Guillaume)
Pierre Moreau