Vache canadienne

Lorsque les premières vaches Holstein arrivèrent en France, au milieu de la décennie 1960, on les appela volontiers « Canadiennes » car les importations à partir des États-Unis ne commencèrent qu'un peu plus tard. La race Canadienne dont il est question ici n'a évidemment rien à voir avec la Holstein : il s'agit de la plus ancienne race bovine laitière qui se soit développée en Amérique du Nord, à partir d'animaux français.

Les dates auxquelles des bovins ont été embarqués, tantôt à St Malo, tantôt à Honfleur, sont connues : 1538 (Baron de Léry), 1541 (Jacques Cartier), 1601 (De Poutricourt), 1608 (Samuel de Champlain), 1660 (Colbert). Cette dernière exportation avait été commandée par Louis XIV, qui chargea Colbert d'envoyer au Canada « de bonnes vaches laitières de Normandie et de Bretagne ». De nouveaux contingents d'animaux partiront ultérieurement. En 1667, la population issue de la multiplication sur place de ces bovins venus de France se serait déjà montée à 3107 sujets. L'acclimatation s'était faite sans problèmes et, par la suite, soumis à un climat difficile et à des conditions d'entretien peu favorables (au plan alimentaire surtout), les animaux développèrent une rusticité à toute épreuve, souvent soulignée par la suite.

Canadienne  taureauAu début du XIX° siècle, l'ensemble du troupeau n'avait subi aucun apport extérieur et pouvait donc être considéré comme « pur ». Au milieu du XIX°, des agronomes regrettèrent que cette race ne soit pas mieux traitée car elle leur paraissait disposer d'un potentiel de production méritant d'être mieux exploité. Toutefois, les races britanniques étant arrivées à leur tour, on finit par lui préférer la Ayrshire, la Jersiaise, voire la Guernsiaise qui, utilisées en croisement d'absorption, réduisirent les effectifs de la race Canadienne. Certains éleveurs toutefois lui restaient fidèles et tentaient de la sélectionner par elle-même. En dépit de qualités soulignées dans les concours –ses aptitudes beurrières étaient régulièrement mises en avant et, en 1901, elle fut même reconnue comme étant la vache laitière la plus intéressante économiquement au Canada- son importance ne cessa de se réduire au XX° siècle. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, la concurrence ne venait pas encore vraiment de la Holstein mas des autres races britanniques. La Holstein entra en jeu surtout dans les années 1950 et bénéficia d'une forte pression institutionnelle en sa faveur. Certains éleveurs de Canadiennes tentèrent des croisements avec la Brown Swiss qui, en raison de son lait plus riche que celui de la Holstein, paraissait mieux convenir. En 1982-83, avec une dizaine de milliers de têtes, elle était considérée comme en voie de disparition.

Par la suite, la Canadienne bénéficia de la sensibilité à la sauvegarde de la diversité génétique, initiée par la FAO et, en 1999, elle fut reconnue par l'Assemblée nationale de son pays comme « patrimoine agricole du Québec ». Il fut souhaité que des actions en sa faveur soient menées.

Aujourd'hui, on compte environ 1000 têtes de Canadiennes, dont au moins 300 pures, pour la plupart présentes au Québec, un peu en Ontario et aux États-Unis. Les vaches pèsent en moyenne un peu moins de 500 Kg, se présentent le plus souvent sous robe noirâtre (en réalité un fauve très fortement charbonné) - mais d'autres robes existent - et produisent au contrôle laitier un peu plus de 5000 Kg de lait, avec un taux de matière utile élevé. Des efforts de valorisation ont été accomplis, dans une direction que l'on connaît bien en France avec l'AOC ou l'IGP : une production spécifique (traditionnelle de préférence), faite avec une race locale, dans son terroir. En l'occurrence, il s'agit d'un fromage à pâte cuite, qui a été appelé le « 1608 » et qui a été « lancé » en 2008, alors que la ville de Québec fêtait son 400ème anniversaire. Ce fromage, fait exclusivement avec du lait de vaches Canadiennes, est très apprécié des consommateurs et devrait voir sa production augmenter : d'ici 2017, les responsables de la laiterie qui le fabrique et les éleveurs souhaitent pouvoir disposer de 1 à 1,5 millions de litres de lait. Ce faisant, la race Canadienne n'est plus , au Québec, considérée seulement comme la race patrimoniale du pays, mais comme une race ancrée dans l'économie. Comme en France, le message selon lequel toute race doit pouvoir être valorisée, en définissant bien des objectifs adaptés à son potentiel, est véhiculé. On ne peut que souhaiter que la plus ancienne race laitière d'Amérique du Nord -aux origines de surcroît françaises-, après avoir frôlé la disparition, réamorce un développement substantiel et fasse ainsi vivre la diversité, aussi bien génétique que culturelle.

Canadienne veauLa race Canadienne suscite un certain nombre de remarques et de questions pour les zootechniciens français.
Il est intéressant d'observer ce que sont devenus des animaux originaires de Bretagne et de Normandie ayant fait souche de l'autre côté de l'Atlantique. Même si la production laitière de la race québécoise est jugée insuffisante par rapport aux grandes races élevées en systèmes intensifs, on remarque qu'elle est en moyenne sensiblement supérieure à celle des races bretonnes actuellement élevées en France. On peut supposer qu'elle a bénéficié –au moins au XX° siècle- à la fois de conditions de milieu et d'une pression de sélection plus favorables à l'expression de la production laitière que dans la Bretagne d'autrefois. L'idée selon laquelle il y avait un potentiel de production laitière en Bretonne Pie-Noir qui aurait pu être exploité à grande échelle dans la seconde moitié du XX° siècle vient à l'esprit mais, bien entendu, cela n'aurait pas fait de la Bretonne une race pour les systèmes intensifs et productivistes. Les éleveursactuels de bétail breton ont effectué à juste titre un autre choix. La race Canadienne a gardé de ses origines une très bonne aptitude beurrière et on la découvre également « fromagère ». Enfin, elle continue d'être considérée comme dotée d'excellentes qualités d'élevage : fertilité, longévité, rusticité etc ...

La race Canadienne pose par ailleurs question quant à ses origines précises. Est-elle normande ou bretonne ? Cette question ne doit évidemment pas se référer à la géographie actuelle mais au peuplement bovin de l'époque où des animaux sont partis au Canada. Comme elle évoque beaucoup plus aujourd'hui, par sa morphologie, le bétail breton que la race Normande, on est fondé à supposer que ce dernier occupait aux XVI° et XVII° siècle un territoire plus étendu que celui de la Bretagne historique. Les origines de la race Canadienne seraient donc bien bretonnes en termes phylogénétiques. Il a même été avancé que du bétail noirâtre existait encore dans la région de Guingamp au début du XX° siècle et se retrouvait jusque dans le Cotentin. C'est peut-être vouloir faire jouer à la couleur de robe un rôle qu'elle n'a pas eu mais l'idée mérite d'être rapportée.
Il existe aujourd'hui quelques dizaines de vaches Canadiennes en France, principalement dans l'Ouest. La question de savoir si elles doivent être considérées ou non comme bretonnes s'est posée. La réponse dépend de l'angle de la réflexion. Historiquement, c'est difficilement contestable mais on peut aussi considérer que trois siècles d'éloignement ont établi des distances qui font oublier la parenté lointaine. A chacun son choix ! L'essentiel est que la race Canadienne, qui est avant tout canadienne et plus encore québécoise, poursuive son développement et témoigne elle aussi que les races à faibles effectifs ont leur place aujourd'hui dans l'économie ●


 

Bibliographie
ALLARD, D. et LAPOINTE, G.D. , La canadienne, plus de 400 ans d'histoire ; Document "Agriculture, Pêcheries et Alimentation - Québec", mars 2012 (29 pages).
AVON, L., "La race bovine Canadienne", in "Races françaises à faibles effectifs. 24 Fiches races-statistiques", Document Institut de l'Élevage, mars 2009, 19-20.
DUCHESNE, M., "Fabienne Thibeault se porte à la défense de la Canadienne", L'Entre-Nous (Bulletin de la Société des Éleveurs de bovins Canadiens), 2010, n°1-2, 18-24 ●


Professeur Bernard Denis
photos J.Pierre Ferrier