Malgré son cornage et sa prestance qui la rendent reconnaissables entre toutes et des facilités d’élevages remarquables, la vache Béarnaise a bien failli disparaître dans les années 70. Voici une brève histoire de cette jolie blonde, qui a un bel avenir devant elle…
De nombreuses dénominations pour une même race (1)
La race des Pyrénées Atlantiques était très ancienne. Cependant, en 1774, une épizootie faillit détruire presque entièrement la population bovine de la région. La Vallée de Barétous fut épargnée ce qui permit de reconstituer le cheptel.
Dès 1832 l’amélioration fut entreprise avec l’institution de primes cantonales. A partir de 1896 furent également organisés des concours locaux. Le Herd Book de la "race des Pyrénées à muqueuses roses" fut créé à Pau le 14 juillet 1901. En 1854 la race fut décrite sous le nom de race "Béarnaise" , en 1856 sous celui de "Barétoune et des Pyrénées".
L’on a distingué les variétés "Basquaise", "Béarnaise", "d’Urt". Puis la race s’est appelée "race Pyrénéenne du Sud-Ouest". De 1923 à 1929 nous avons la "race des Pyrénées", de 1951 à 1960 la "Blonde des Pyrénées". En 1961 la race pourtant admise n’est pas présentée au Concours Général Agricole à Paris et en 1962 la Blonde des Pyrénées rejoint la Garonnaise et la Quercy pour créer la "Blonde d’Aquitaine" où s’impose très vite la Garonnaise.
Annie Amizet dans sa thèse vétérinaire de 1964 écrit : "La race Blonde des Pyrénées, race ancienne et régionale a toujours été bien fixée ; les différentes variétés se sont peu à peu fondues dans le type moyen. Nous avons là des animaux de travail et de boucherie qui malgré certains caractères communs, se distinguent des autres races blondes surtout par leur adaptation à leur milieu pyrénéen. Pourtant on tend à les faire disparaître par croisement avec les races Garonnaise et Limousine". Il s’en est fallu de peu en effet qu’il n’y en ait plus.
En 1978 au moment ou l’ITEB (aujourd’hui Institut de l’Élevage) entreprend de faire l’inventaire des races bovines françaises menacées et prospecte dans les Pyrénées, ce ne sont que quelques animaux qui sont retrouvés, en amont d’Oloron-Ste-Marie, dans les vallées d’Aspe et de Lourdios essentiellement (120 femelles au total).
C’est à l’époque la fabrication d’un fromage de mélange brebis/vache dit "mixte" qui a incité les habitants de ces vallées à conserver, avec la plus grande difficulté, quelques taureaux.
Ainsi trois taureaux furent repérés qui sont aujourd’hui à la base des souches actuelles. La race a repris son nom de "Béarnaise" puisque ce sont des animaux du Béarn qui ont été retrouvés - animaux d’un type élégant au profil laitier. Cette souche doit être distinguée de la race espagnole dite "Pirenaica" qui intègre des souches basques (espagnoles) et surtout navarraises peut être légèrement imprégnées de sang Garonnais.
En somme cette Béarnaise représente les derniers animaux purs d’une grande race au lointain passé parfois baptisée par les anciens auteurs "le pur-sang arabe de l’espèce bovine".
La mise en place du programme de conservation : un travail de longue haleine
Une des premières mesures a consisté à faire collecter de la semence des derniers taureaux de la race pour mettre la génétique à l’abri et surtout permettre et favoriser la reproduction des dernières vaches en race pure.
En effet, très peu de vaches - la plupart d’ailleurs déjà très âgées - se reproduisaient encore en race pure faute de taureaux disponibles. Ainsi en 1980, un jeune veau, ROZAN, est envoyé à l’Union de Coopératives d’Insémination Animale (MIDATEST) pour y être élevé en station et collecté.
En 1981, un autre taureau, MENDITE, est collecté puis en 1982 un troisième - NETSAUT. Ces trois taureaux représentent les trois souches mâles retrouvées. Par la suite furent créés d’autres taureaux décalés génétiquement entre eux en utilisant des vaches âgées qui ainsi introduisirent une certaine diversité génétique.
Ces opérations de collecte ont été successivement financées par le Ministère de l’Agriculture, le FIDAR (via le Parc National des Pyrénées puis le SUACI et le SUAIA Pyrénées), le Conseil Régional d’Aquitaine (via l’Association "Conservatoire des Races d’Aquitaine") puis enfin le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques
A ce jour 22 taureaux de race Béarnaise ont été collectés dont 19 sont disponibles en routine pour la reproduction de la race. La préservation des souches par la voie mâle a été complétée dès le début du programme par un suivi annuel des troupeaux et la tenue du livre généalogique par l’Institut de l’Élevage.
L’inventaire le plus exhaustif possible des femelles et des taureaux reproducteurs, mis à jour chaque année sans interruption depuis 1985, est en effet un outil indispensable à différents niveaux.
En effet, il permet aux éleveurs de rester en contacts entre eux et de repérer facilement l’emplacement des animaux, ce qui facilite grandement l’échange de reproducteurs et la création de nouveaux élevages.
Mais surtout, le suivi sur le long terme des naissances permet de garder en mémoire les généalogies des animaux actuels et de gérer au mieux la variabilité génétique de la race, qui est très fragile dans les races ne comptant que quelques centaines d’animaux.
Aujourd’hui, il est ainsi possible de fournir aux éleveurs des conseils d’accouplements pour limiter au mieux la consanguinité, et même à un niveau plus avancé de repérer les souches les plus originales pour rééquilibrer la population du mieux possible. L’Institut de l’Élevage n’est aujourd’hui plus seul pour mener à bien le programme de relance de la Béarnaise : l’association pour la sauvegarde de la race bovine Béarnaise a vu le jour en 2003 et s’est dotée récemment d’un animateur, ce qui permettra de concrétiser les projets tournés autour de la valorisation de la race (mise en avant auprès du public lors de diverses manifestations et surtout développement des filières de valorisation des produits de la Béarnaise).
Le Conservatoire des Races d’Aquitaine est également un partenaire actif du programme, en finançant par exemple les inséminations artificielles réalisées par les éleveurs ou le maintien de taureaux dans les élevages.
Des atouts pour l’élevage d’avenir
La race Béarnaise, un des plus emblématiques fleurons du patrimoine génétique et culturel des Pyrénées, a ainsi été sauvée in extrémis grâce à des actions de sauvegarde entreprises dès 1978 avec l’appui de quelques éleveurs.
Même si l’effectif reste très faible (286 femelles en 2015 chez 75 propriétaires), on peut être sûrs que la race ne risque plus de disparaître du jour au lendemain. L’urgence se situe maintenant dans la création de nouveaux troupeaux, et dans la transmission des troupeaux existants lorsque les éleveurs atteignent l’âge de la retraite.
La Béarnaise peut compter sur ses magnifiques cornes en lyre, son intelligence et son élégance pour charmer les éleveurs, mais c’est dans la qualité de ses produits et ses facilités d’élevage que réside son salut. En tant que race non sélectionnée, il apparaît évident qu’elle produit moins de lait qu’une race laitière spécialisée et moins de viande qu’une race allaitante spécialisée. Cependant, sa mixité dénigrée il y a quelques dizaines d’années redevient un atout lorsque les éleveurs ont des systèmes d’élevages basés sur la valorisation des territoires et la vente de produits en circuits courts.
La Béarnaise s’adapte en effet très bien aux différences de régime alimentaire au cours de l’année : capable de prendre sur ses réserves pour passer l’hiver avec des rations à base de foin, elle reprend ensuite très rapidement de l’état à la mise à l’herbe au printemps. Puis, par sa rusticité, son intelligence, son aptitude à la marche et son agilité, c’est une vache montagnarde qui sait profiter au maximum des estives, de juin à octobre, n’hésitant pas à explorer de nouveaux pâturages là où d’autres races restent plus « sédentaires » au sein de l’estive.
La Béarnaise a gardé de son passé de fromagère un lait riche, et en quantité suffisante pour nourrir parfaitement son veau. Parfois même le veau n’arrive pas à consommer à lui seul tout le lait de sa mère, qui peut alors servir de tante à un autre veau ou être traite par l’éleveur, ce qui a donné lieu à quelques essais de fabrication de fromages à titre individuel très prometteurs
Les veaux sont sevrés vers 6-8 mois et, si la période de l’année est propice et les pâturages suffisants, ils n’ont pas forcément besoin d’être complémentés pour donner une très bonne viande.
Car le goût, que ce soit du fromage ou de la viande, est l’élément qui distingue les produits de la Béarnaise et qui la fera reconnaître dans sa région. Cette différence de goût provient de la génétique, car l’absence de sélection pour la viande fait qu’elle garde une croissance lente et une viande plutôt rouge mais très goûteuse et persillée dans le cas des bœufs, et d’autre part de l’alimentation : il est prouvé que le foin et l’herbe donnent les meilleures viandes, et dans le cas de la Béarnaise on doit même mettre en garde les éleveurs désirant apporter des compléments à ne pas trop nourrir leurs animaux sous peine d’obtenir une viande avec trop de gras de couverture !
Nous avons donc ici une vache qui coûte peu à ses éleveurs, si le système d’élevage est bien réfléchi, et qui compense les différences de quantités de viande ou de lait par la qualité de ses produits. Des partenaires visionnaires tels que Tony Dourau, boucher à Oloron-Sainte-Marie, ou les restaurateurs Alain et Karl de La Table d’Élise à Ogeu-les-Bains, ne s’y sont pas trompés et sont aujourd’hui les ambassadeurs de la viande de veau Béarnais.
Chez eux les clients connaissent l’origine de la viande, font le lien avec la race Béarnaise, et même si pour l’instant les effectifs ne permettent pas de produire de la viande toute l’année ils ont accepté de s’adapter à la disponibilité du produit.
Ainsi, dans une période où l’avenir de l’élevage à taille humaine repose sur les produits de qualité et les circuits de proximité, la Béarnaise a toutes ses cartes à jouer pour retrouver une place de choix dans l’agriculture et la culture Béarnaise ●
Lucie MARKEY - IDELE
(1) - Ce paragraphe est tiré de l’historique de la race rédigé par Laurent AVON (Institut de l’Élevage) en 2009. Après plus de 20 ans de suivi de la Béarnaise mais aussi des autres races bovines à très petits effectifs, il en avait bien sûr une très bonne connaissance.
Pour en savoir plus :
Association pour la sauvegarde de la race bovine Béarnaise
Vincent MOULIA - Mairie - 64600 Asaps-Arros - 06 31 65 31 02 -
Institut de l’Élevage - OS des races bovines locales à petits effectifs
Lucie MARKEY - BP 42118 - 31 321 Castanet-Tolosan cedex - 05 61 75 44 59 -