La seule certitude historique que l'on ait à propos de la chèvre des fossés est que cette population relique était traditionnellement élevée dans tout le bocage de l'Ouest (Pays de la Loire, Bretagne, Basse-Normandie).
On gardait une ou deux chèvres "au piquet" pour fournir la famille en lait. Il est probable que les éleveurs opéraient une sélection réelle sur leurs animaux, à la fois sur les qualités laitières et la prolificité : quand on est pauvre, tout ce qui est produit par la chèvre n'est pas à acheter ! Cette population a réussi à survivre dans la confidentialité et un troupeau sauvage s'est même créé au cap de la Hague à partir d'animaux relâchés pendant les années 70.
Les actions de reconnaissance et de conservation de cette race n'ont été entamées que très récemment.
Suite à quelques repérages de terrain dans le milieu des années 1990, l'Institut de l'Élevage, accompagné d'opérateurs régionaux (Ecomusée du Pays de Rennes, CRAPAL, Arche de la Nature du Mans, Conservatoire du Littoral...) a initié des tournées de prospection et d'inventaires des animaux, qui sont maintenant renouvelées chaque année. Les animaux fondateurs de qualité ont été retrouvés essentiellement dans la Manche et dans l'Orne, avec quelques souches originales en Bretagne et en Loire-Atlantique. Il faut noter que par rapport à d'autres populations locales cette race a été relativement préservée des croisements avec les races alpines, probablement parce que son berceau de race n'est pas une région caprine.
Un intervenant et éleveur majeur de la race, l'Ecomusée du Pays de Rennes, a décidé en 1998 d'organiser annuellement une rencontre des éleveurs intéressés par la chèvre des Fossés ce qui a grandement participé à lancer la dynamique du groupe d'éleveurs. L'Institut de l'Élevage tient le répertoire des animaux, et des actions de cryoconservation de semence de boucs sont régulièrement mises en place, principalement grâce à des financements du CRAPAL. Grâce à ce travail, le Livre Généalogique de la chèvre des Fossés a été reconnue officiellement par le Ministère de l'Agriculture en 2005. La dernière action en date a été la création d'une association début 2007, l'ASP (Association de Sauvegarde et de Promotion) de la Chèvre des Fossés.
La chèvre des Fossés est un animal en général de petit format. Cette chèvre doit présenter du poil long sur tout le corps, mais la longueur de ce poil peut varier. C'est l'une des rares races caprines relativement bien adaptée à l'humidité : la présence fréquente de sous-poil de bourre lui permet de résister plus facilement. Elle est généralement cornue : chez les femelles on trouve souvent des cornes courtes et fines, peu écartées, en forme de dagues effilées bien parallèles. La tête est souvent petite et plutôt ronde, et on lui préfère un chanfrein droit. Les oreilles sont petites et fines, en port de cornet quand l'animal est à l'écoute.
Toutes les couleurs sont possibles mais actuellement les éleveurs préfèrent les robes pie. On exclut simplement pour éviter les animaux croisés la couleur chamoisée.
La Bretagne est la région où l'on trouve le plus d'éleveurs et de chèvres, suivie de la Basse-Normandie.
Les élevages hors berceau restent une exception. Les élevages sont en général de très petite taille : 80 % des troupeaux ont un maximum de 5 animaux. Ce sont souvent des particuliers qui conservent la chèvre des Fossés pour le plaisir d'élever une race rare et originale. Ils
sélectionnent les animaux sur leur apparence et sont souvent prêts à acheter cher un animal bien typé : en cela l'élevage de la chèvre des Fossés se rapproche plus de l'élevage canin que de l'élevage caprin laitier. On trouve également cette chèvre dans des troupes un peu plus nombreuses lorsqu'elle est élevée par des collectivités locales ou des conservatoires pour entretenir des écosystèmes protégés. Un nombre encore très marginal d'élevages tente de la traire, ce qui fait que les capacités laitières de ces animaux ne sont pas encore bien connues.
Population dite « relique » au départ du programme de conservation où pas plus d'une centaine d'animaux étaient recensés, elle n'est néanmoins plus menacée à court terme (670 femelles chez 121 éleveurs en 2010), car, curieusement, la chèvre des Fossés est la population caprine locale qui connaît actuellement le plus d'engouement. Depuis 2000, la croissance de la population est exponentielle : de l'ordre de + 400 % en cinq ans !
Malgré la petite taille de cette population, les risques liés à la consanguinité sont pour le moment écartés en raison de sa dynamique : quasiment toutes les femelles sont mises à la reproduction, le nombre de femelles mises au même bouc est généralement faible et enfin le nombre de souches distinctes retrouvées lors des premiers inventaires était plutôt élevé pour une race à petits effectifs (une vingtaine).
Parmi les interrogations actuelles, la croissance rapide et constante du nombre d'éleveurs pourrait devenir un obstacle à terme pour assurer un suivi complet de la population. On constate aussi une grande volatilité des élevages : l'engouement mais aussi le désintérêt sont très rapides. D'ailleurs, le fait que la majorité des animaux soit possédée par des amateurs est à la fois un avantage et un inconvénient : on trouve beaucoup de personnes très motivées et prêtes à s'investir fortement dans la race mais elles n'ont pas toujours la bonne technicité pour appréhender l'élevage, d'où une mortalité élevée. Enfin la vocation agricole de la race reste à démontrer puisque seulement deux élevages traient leurs animaux. Néanmoins entre sa bonne santé génétique et zootechnique (c'est une race très fertile), la forte progression des effectifs, la motivation et le dynamisme de la toute jeune association, la bonne ambiance qui règne entre les éleveurs et la qualité des intervenants techniques régionaux, la chèvre des Fossés est en bonne voie ●
Article extrait de « Situation et perspectives d'avenir des races caprines à petits effectifs »
Institut de l'élevage/INRA - AgroParisTech UMR GABI
Publié par la Société d'Ethnozootechnie
Coralie Danchin-Burge
INRA/AgroParisTech, UMRI236, 16 rue Claude Bernard 75231 Paris Cedex 05-Mail : coralie
Delphine Duclos
Institut de l'élevage, 149 rue de Bercy 75595 Paris Cedex 12
Photos : Coralie Danchin-Burge