Opistognathus aurifrons7 Les puisatiers appartiennent à la famille des opistognathidés. Cette famille regroupe 60 espèces dans 5 genres. Le genre le plus important Opistognathus est le seul plus représentatif en aquariophilie avec 40 espèces.

Le nom populaire se rapporte à ce que ces espèces creusent un tunnel ou plutôt un puits comme logement et où ils rentrent la queue la première puis y passent toute leur vie, s'y reproduisent et s'y nourrissent.
Opistognathus = mâchoire fuyante en rapport à la mâchoire inférieure placée en arrière de la mâchoire supérieure.
Les anglophones les appellent « Jawsfish » ou poissons-mâchoires, mais. Jaws est aussi le nom de la version originale des Dents de la mer ! À ne pas confondre !

Les puisatiers sont communs dans toutes les mers tropicales. Mais le puisatier au front jaune (Opistognathus aurifrons) est originaire des Caraïbes, de Floride et des Bahamas, plus précisément. Il occupe les fonds sablonneux dépourvus d'abris : le désert sous-marin. Pour survivre et coloniser ce milieu, sa stratégie consiste à creuser un puits qui lui permet, sur un terrain découvert, d'échapper aux prédateurs éventuels. Il rentre dans le puits en nage arrière ou la tête la première pour s'y retourner ensuite.

Opistognathus aurifrons Inc 811 Bleu ciel, front jaune
Notre puisatier à front jaune possède une robe bleu pâle qui vire au vert clair dans la partie dorsale. Le front ne jaunit qu'à partir d'une taille de 6 à 7 cm, mais la lèvre inférieure et les arcades des yeux se teintent également de cette couleur. La taille adulte est de 10 cm ; les sexes respectifs ne peuvent être reconnus avant la parade et la reproduction.

L'espèce est assez commune en aquariophilie. On la trouve trop souvent dans des bacs commerciaux au substrat excessivement maigre ou même totalement nu.
Lorsque vous apercevrez pour la première fois Opistognatbus aurifrons nageant en pleine eau, dites-vous que ce n'est pas normal et que ce comportement est lié à une maintenance inadéquate. Certes, pour des raisons commerciales, il n'est pas possible de laisser notre poisson s'installer dans un puits avant sa destination définitive.
Chez l'aquariophile, il sera fort difficile de déloger le puisatier dans 10 cm de substrat

Opistognathus juvénile 857Un matelas de sable
La maintenance du puisatier demande un grand bac avec une large plage de sable corallien aux grains assez grossiers, mais il faut surtout que la couche soit épaisse avec une granulométrie de 3 à 5 mm. À éviter absolument : le sable fin. Ce dernier ne permet pas la confection du tunnel car il ruisselle et le puisatier n'arrivera jamais à construire son puits.
L'aquarium aura une surface de sable de 1,5 sur 0,6 m pour 4 à 5 individus.

Lorsque vous avez acquis vos poissons (il convient d'en acheter plusieurs pour espérer les voir se reproduire) ils se mettent immédiatement à creuser leur puits. Par petites bouchées, le sable corallien est expulsé et le trou se creuse inlassablement. Lorsqu'il est terminé, chaque poisson s'installe dans son home, la tête dépassant légèrement de l'orifice, Parfois, l'un d'eux dévoile son corps un peu plus, mais vite, il retourne au fond de son abri, comportement démontrant que nos poissons, très farouches, sont totalement inféodés à ce mode de vie.

Cette situation, statique, implique que la nourriture arrive jusqu'au puits et que les différents poissons gardent une distance visuelle suffisante pour se voir et communiquer. Il n'est donc pas possible de faire cohabiter des espèces rapides ou fouilleuses avec les Opistognathus, pas plus que des espèces gloutonnes, qui leur retireraient le pain de la bouche. La cohabitation avec des anémones ou des cérianthes est tout aussi aléatoire. Par contre, ils s'adaptent assez rapidement dans un bac corallien.

Les premières semaines de leur acclimatation, il convient de bien couvrir le bac car les individus peuvent rapidement paniquer et sauter hors de l'eau.

Le bac type pour cette espèce sera donc assez triste et monotone. Imaginez un bac nu avec une couche de 8 cm de sable de corail. Impensable dans un salon... Il est possible, pour améliorer l'esthétique, d'implanter quelques anémones disques (Discosomatidés) sur un substrat quelconque, comme des roches calcaires, mais ces supports doivent empiéter un minimum sur la surface destinée aux poissons, tout en garnissant les deux faces latérales et l'arrière du bac.
Comme cohabitants, les poissons grégaires de pleine eau, tels les apogons conviennent assez bien à condition qu'ils ne retirent pas la nourriture de la bouche des puisatiers.

Opistognathus aurifrons4 En attendant le repas qui passe.
Les puisatiers sont là, ils attendent et observent l'environnement. Il suffit d'ouvrir la porte de votre salon, et hop ! disparus. Petit à petit, d'abord la tête, puis un tiers du corps réapparaissent. Le tronc et les yeux tournent légèrement. Comme les Opistognathus répugnent à sortir de leur tanière, c'est la nourriture qui doit leur parvenir. En milieu naturel, le plancton, porté par le courant d'eau, les alimente. Ils ont une prédilection pour les crustacés choisis dans le zooplancton.
En captivité, outre les appareils communs pour assurer le fonctionnement d'un bac marin (filtres, écumeur, UV, chauffage, diffuseurs, etc.), il importe de placer une petite turbine de faible puissance (200-300 l/h) qui est dépourvue de tout accessoire et placée dans un angle du bac le plus discrètement possible. Son rejet balaiera la surface du substrat : flux qui porte continuellement, lors de la distribution de nourriture, les particules en direction des puits occupés par les aurifrons. Ces derniers comprennent très vite que c'est le moment de la collecte Vous assisterez à un va-et-vient vif des poissons happant la nourriture. Celle-ci se compose essentiellement d'un broyât de chair de poisson ou de crevette et. bien sûr, de la « délicatesse » constituée par les anémias. Nauplii ou adultes, vivantes ou congelées, peu importe, ils adorent cela !

Les rares cas de sorties du puits sont principalement liés à la parade pour séduire une dame aurifrons. En milieu naturel et en captivité, l'espèce est territoriale et vit en même temps en colonie. Chacun défend son puits et une portion de terrain dans un rayon plus ou moins étendu. Chaque individu est distant d'environ un mètre. (Cette distance diminue forcément en aquarium). Lorsqu'un mâle aperçoit une femelle, il sort, se cambre, écarte les nageoires et ouvre grand sa gueule. Cette parade peut se renouveler plusieurs fois, jusqu'à ce que la femelle accepte de suivre le mâle dans son puits. À moins que les poissons ne se rencontrent en terrain neutre, dans un puits resté vide, pour y pondre. À ce stade, chez le mâle, commencent à apparaître deux fines lignes noires sous la gorge. Elles s'étendent en oblique du centre de la lèvre inférieure vers la région de la membrane gulaire.

C’est le mâle qui incube
Lorsque la ponte a eu lieu, le mâle ressort du puits, la gueule pleine d'œufs. Il apparaît tel un gamin avec une vingtaine de bonbons dans la bouche. Le frai prend une place importante dans sa cavité buccale, écartelée, et ses grandes mâchoires justifient leur utilité. La gueule est maintenue ouverte. Le diamètre d'un œuf est de 0,8 mm.
L’incubation buccale dure 7 à 9 jours à 25-26 °C.
Au quatrième jour, l'amas des œufs devient grisâtre à cause de la pigmentation des yeux.
Les larves ont une taille de 4 mm et leur sac vitellin est extrêmement petit.
Au neuvième jour, les alevins entièrement développés (à ce stade l'espèce est identifiable et ils sont prêts à explorer le terrain.
Vers deux semaines, ils quittent le territoire du père et cherchent un terrain vierge pour creuser leur premier puits.

Opistognathus juvénileLa reproduction est assez similaire à celle des Cichlidés à incubation buccale, mais les alevins sont légèrement plus petits et les nauplii d'artémias ne conviennent pas comme première nourriture. L'espèce est couramment reproduite depuis 1974 aux Etats-Unis et la quasi-totalité des spécimens vendus provient des fermes d'élevage de Floride.

Si vous avez la « chance » d’atteindre le stade de la reproduction de l'aurifrons, il convient de siphonner les alevins dès qu'ils ont atteint la nage libre et de les placer dans un bac d'élevage spécial avec une couche de sable de corail fin d'une épaisseur de 2 à 4 cm.
Le bac ne doit pas être trop grand au départ, afin de garder une certaine concentration de nourriture lors de la distribution.

Mais la difficulté (relative, si l'on s'y prend bien) consiste à produire la première nourriture des alevins : Brachionus plicatilis
Deux modes de reproduction, l'une par parthénogenèse et l'autre sexuée. Selon la souche, vous pourrez être en présence de grands spécimens (1.) ou de petits (S). C'est la petite taille, qui n'est que de 120 à 160µ, qu'il faut choisir, la grande mesurant le double. La culture de ce rotifère a été mise au point par le Dr. R. Pourriot, (Ecole normale sup.) pour l'aquaculture (Pourriot in « Aquaculture ; Technique et Documentation »; Paris : Lavoisier
Un grand cichlidophile, soit dit en passant, et qui nous fournissait les premières souches de Brachionus pour les premières reproductions de poissons-clowns dans les années 1970.
Vous alimenterez les rotitères avec un mélange composé de 10 % de pastilles pour loricariidés contenant des spirulines (JBL) et de 90 % de levure de boulanger. Culture à démarrer bien avant la nage libre des alevins, car, dès lors, les bouches doivent être nourries.
Au 4è jour de nage libre, il faut distribuer un mélange de rotifères et de nauplii d'artémias. Ces dernières ne doivent pas dépasser 300 µ (Francisco Bay), les autres étant déjà trop grandes à l'éclosion. Les alevins ont alors déjà 10-15 mm de long.
À l'âge de 10 à 12 jours, ils commencent à s'alimenter avec un broyât de chair de poissons, de crevettes, mais surtout de métanauplii (Al puis A2) nourris après la 13è heure (cela ne sert à rien de les nourrir avant la première mue, ils ne mangent pas) avec le même mélange que pour les rotifères.
Au 15è jour, les alevins commencent à creuser leur puits. En un an, ils atteindront la taille adulte de 8 à 10 cm.


Bibliographie
Allgayer, R. Le puisatier au front jaune. Aquaplaisir
Colin PL (1971) Interspecific relationships of the Yellowhead Jawfish, Opistognathus aurifrons (Pisces, Opistognathidae) Copeia 1971(3): 469–473. https://doi.org/10.2307/1442443
Robertson, D. R., & al.2016 (13 Dec.) The fishes of Cayo Arcas (Campeche Bank, Gulf of Mexico): an updated checklist. ZooKeys No. 640: 139-155


Texte et photos : Robert Allgayer - 1er vice président et conseiller scientifique de la Fédération Française d'Aquariophilie

 

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