DaniosGM1Il y a une vingtaine d’années, des chercheurs taïwanais modifiaient le code génétique de certaines espèces de poissons pour les rendre fluorescents.

Danio rerio, Amatitliania nigrofasciata, Oryzias latipes et Pterophyllum scalare recevaient alors des gènes d’une méduse (Aequorea victoria, pour la fluorescence verte) ou d’une anémone (Entacmaea, pour la fluorescence rouge) et devenaient eux-mêmes fluos.

DanioGM2Conscients de l’intérêt commercial de cette technique, les chercheurs désiraient diffuser leurs espèces transgéniques et la Fédération Française d’Aquariophilie s’inquiétait déjà sur les risques de leur introduction en France, notamment en cas d’acclimatation.

Nous demandions alors, aux ministères de l’écologie et de l’agriculture, qu’aucune autorisation ne soit délivrée pour l’importation, en France comme dans les pays de l’Union Européenne, des espèces d’ornement génétiquement modifiées, conformément aux dispositions du code de l’environnement relatives aux organismes génétiquement modifiés (art. L.533-1 à L.533-7) et de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement

À notre demande, des parlementaires (les Députés J. Jacques Candelier & J. Claude Mathis) avaient, dans ce sens, posé des questions écrites au gouvernement.

Ce dernier nous avait assuré de l’interdiction stricte d’importation de poissons transgéniques au sein de l’Union Européenne.

DanioGM4Malheureusement, cette interdiction n’est pas de fait dans de nombreux autres pays. Ainsi les poissons fluos sont autorisés aux USA depuis 2010 et 2011, sauf en Californie, ainsi que dans de nombreux pays asiatiques tels la Chine, la Malaisie, Taïwan, Hong-Kong, le Sri-Lanka. La Thaïlande vient d’interdire leur commercialisation.

A l’inverse, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Indonésie … refusent leur importation.

Les espèces génétiquement modifiées étaient autorisées au Brésil mais cette autorisation a, depuis, été retirée. Les danios fluo continuent pourtant à être élevés dans des fermes aquacoles et sont toujours commercialisés.

A ce jour, il existe environ 17 espèces de poissons transgéniques fluorescents, certaines ayant, depuis, reçu des gènes de coraux (rouges ; roses). La commercialisation de ces poissons fluos représente, selon certaines sources, 15% des ventes des poissons d’ornement d’eau douce aux Etats-Unis.

Selon une étude parue dans « Studies on Neotropical Fauna and Environnement », en 2014, la présence d’un (seul et unique) danio fluo était signalé près d’une pisciculture d’ornement de Floride. Ce fut le seul signalement en Amérique du nord, le poisson ayant probablement été repéré très vite (et pour cause !) par les prédateurs, notamment Micropterus salmoides (Centrarchidae d’Amérique du nord [acclimaté en France] également appelé « Black bass à grande bouche »).

A noter que l’on a retrouvé des souches de danios « ordinaires » sur certains sites nord-américains ce qui tend à prouver que l’espèce peut se reproduire aux USA. On peut donc tout à fait imaginer qu’il en soit de même pour les souches fluos.

Scénario tout à fait différent au Brésil où des bancs de danios fluos ont été repérés, en 2015, dans le bassin versant de la rivière Paraíba do Sul, près de Muriaé (cf carte ci-dessous), là où se trouvent de très nombreuses fermes aquacoles ornementales. On y trouve en effet 4 500 bassins d’élevage, la plupart sans système efficace pouvant empêcher la fuite des poissons vers les ruisseaux d’alimentation très proches (un à cinq mètres).

DanioGM3.jpgEn 2017, une recherche portant sur 5 ruisseaux appartenant au bassin versant de la rivière Paraíba do Sul (55 500 km2), a permis de découvrir que tous abritaient des danios transgéniques.

Les études démontrent que :

  • Leur alimentation est plutôt opportuniste, principalement basée sur les insectes aquatiques ce qui pourrait avoir le potentiel d’un aspect négatif sur ces populations d’insectes proies (ce qui n’a pas été étudié dans cette recherche) et par voie de conséquence sur les autres espèces qui s’en nourrissent.
  • La reproduction de ces espèces transgéniques s’effectue tout au long de l’année avec prédominance au moment des pluies d’été. Leur maturité sexuelle semble plus précoce que celle des spécimens « classiques » ; ils peuvent se reproduire même si la fécondité est considérée « modérée » selon les scientifiques. Comparés aux spécimens « naturels » leurs œufs sont en effet plus petits, ce qui pourrait s’expliquer par l’augmentation de la durée de la période de frai.

Ce phénomène a été évoqué par Bernard Breton et Patrick Brunet (INRAE de Rennes) dans un document intitulé « quelles précautions imposeraient la présence de poissons transgéniques dans les élevages ? »

  Très peu de jeunes individus (· immatures) ont été retrouvés dans les ruisseaux étudiés. Il semblerait que l’absence de végétation permettant aux larves de se fixer, après l’éclosion, en soit, au moins en partie, la cause. Cette absence de végétation associée à une population importante de poissons, indigènes ou non (de nombreuses espèces « exotiques » sont élevées dans les bassins), et la présence importante de larves d’insectes carnivores (libellules …) favorise très certainement la prédation des œufs, larves et alevins.

DanioGM5Les scientifiques auteurs de cette étude préconisent des stratégies de gestion destinées à empêcher l’introduction accidentelle d’espèces génétiquement modifiées, mais également d’espèces exotiques, dans les eaux bordant les piscicultures :

  • Pratiquer une pisciculture « durable » en n’élevant que des espèces ornementales indigènes telles Hyphessobrycon bifasciatus, Geophagus brasiliense ou encore Hypostomus affinis.
  • Installer des dispositifs anti -évasions au niveau des canaux d’évacuation des bassins d’élevage : écran nylon, filtres …
  • Construction de bassins de rétention, intermédiaires entre les bassins d’élevage et les cours d’eau. Ces zones de rétention seraient peuplées d’espèces prédatrices (Oligosarchus hepsetus, Hoplias malabaricus).
  • Sensibiliser les employés des piscicultures élevant des espèces transgéniques en rappelant notamment que l’introduction dans la nature, accidentelle ou non, d’espèces transgéniques est un crime environnemental selon la loi brésilienne.

Les systèmes physiques sont utilisés par les aquaculteurs d’ornement de Floride sans, pour autant, être efficaces à 100%.

L’interdiction totale et contrôlée d’élever des espèces transgéniques semble être la meilleure des solutions.

DanioGM6Selon André Magalhães, biologiste de l’Université fédérale de São João del-Rei, il s’agit de la première étape d’une possible colonisation où les danios fluos pourraient occuper certaines niches écologiques au détriment d’espèces autochtones telles Poecilia vivipara ou Deuterodon janeiroensis. Cette colonisation serait facilitée par la présence relativement peu importante de prédateurs et l’alimentation opportuniste.

À contrario, Quenton Tucket, biologiste à l’Université de Floride, dont le laboratoire élève cette espèce transgénique, se veut rassurant puisqu’il considère les danios fluo comme « de mauvaises herbes poussant sur le béton ». Il pense que l’expansion de l’espèce transgénique se heurtera à la prédation, leur fluorescence les rendant beaucoup plus vulnérables. Néanmoins, il considère qu’il s’agit là d’un avertissement pour les pisciculteurs brésiliens.

En 2004, le Président de Taikong, société taïwanaise qui a travaillé sur les poissons fluos, assurait pourtant que leur reproduction était impossible, les sujets étant « triploïdes », ce qui semble aujourd’hui totalement faux. Les catalogues de vente précisent en effet que les danios transgéniques sont identiques aux danios « normaux », fluorescence (et prix !) mise à part.

Pourtant désormais interdit de commercialisation au Brésil, les danios fluos se trouvent toujours dans le commerce et, en 2020, des spécimens isolés ont été signalés dans un plan d’eau de l’État de Permambuc (nord-est brésilien) et dans  un ruisseau  de l’État  de Rio-de-Janeiro.

Rappelons que, dans l’Union européenne, l’importation des poissons transgéniques est strictement interdite. Nous ne pouvons qu’approuver.

 


Réponse du ministère du commerce (2011)

« … En ce qui concerne les poissons fluorescents, produits par la compagnie américaine « Glofish® » aux États-Unis, ces animaux pour autant qu'il soit possible de le déterminer, sont bien des organismes génétiquement modifiés produits à partir de spécimens de « poissons zèbres » (Danio rerio) considérés comme domestiques au regard de l'arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d'animaux domestiques.

En tant qu'organismes génétiquement modifiés, leur commercialisation n'est pas possible en France comme dans l'Union européenne, de même que leur importation, tant qu'une autorisation de mise sur le marché n'a pas été attribuée à la société productrice. Aucune demande de ce type n'a été déposée par une société productrice et, de fait, aucune autorisation n'a été délivrée par les services de la Commission européenne ou les autorités françaises. Une telle demande devrait se baser sur un dossier très rigoureux, comprenant en particulier une évaluation des risques liés à la dissémination de l'organisme génétiquement modifié dans l'environnement.

Il n'existe pas à ce jour d'animaux ou d'organismes génétiquement modifiés autorisés en Europe. Il n'y a d'ailleurs aucun dossier déposé en vue d'une telle autorisation. Dans le cas particulier du « Glofish® », la société productrice indique sur son site Internet qu'elle n'envisage pas de déposer une telle demande d'autorisation, les exigences de la réglementation européenne étant trop lourdes en termes de délais et de coûts. L'éventuelle mise sur le marché et donc l'importation en France et dans l'Union européenne de poissons génétiquement modifiés est en effet soumise aux dispositions de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CE du Conseil, celles-ci ayant été transposées en droit français puis codifiées dans le code de l'environnement dans les articles R. 533-25 à R. 533-51. … »


 Les différentes interventions de la FFA

  • Lettre ouverte aux ministres et élus (2010) : https://is.gd/R3qnRR
  • Question écrite de MM les Députés Jean-Jacques Candelier et Jean-Claude Mathis après que la FFA ait alerté tous les parlementaires sur le problème des espèces transgéniques : https://is.gd/sFvpp7

 (2011).

 


Résumé de l’article paru (en anglais) dans la revue « Studies on Neotropical Fauna and Environment » (avril 2022) : https://is.gd/WZtMsP.

Les poissons d'ornement transgéniques fluorescents sont de plus en plus populaires dans le commerce des aquariums du monde entier. Certains enregistrements de poissons zèbres transgéniques (TZF) dans des plans d'eau naturels ont été publiés, mais il n'y a pas de données sur leurs attributs biologiques dans les nouvelles zones. Cette étude visait à évaluer la distribution, l'écologie trophique et les conditions de reproduction du TZF non indigène dans les ruisseaux d'amont situés dans le plus grand centre brésilien d'aquaculture ornementale. Les fragments d'insectes – identifiés comme du matériel chitineux dans l’estomac – et les insectes aquatiques étaient les proies les plus consommés. Des adultes de TZF ont été trouvés dans des conditions de reproduction pendant presque toutes les périodes d'échantillonnage. L'indice gonadosomatique des femelles et des mâles a montré des pics pendant la saison des pluies et correspondait à la montée des eaux. Les femelles et les mâles reproducteurs trouvés étaient de petites tailles corporelles, indiquant une maturation précoce, et ces femelles transgéniques ont produit une quantité modérée de petits ovocytes. L'évaluation de la sex-ratio a montré que les femelles et les mâles étaient présents en même quantité dans un site, tandis que les femelles étaient significativement plus fréquentes que les mâles dans un autre endroit. Des recommandations de gestion, telles que l'utilisation des meilleures pratiques de gestion (par exemple des filtres sur les points de vente), la non-utilisation d'organismes génétiquement modifiés non approuvés en aquaculture et la sensibilisation des pisciculteurs aux animaux transgéniques, sont suggérées pour éviter de nouvelles introduction. 

J.Jacques Lorrin


Article paru dans "Le Lettre de ProNaturA", quadrimestriel de l'association éponyme.

 Sources :

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01650521.2021.2024054 - The fluorescent introduction has begun in the southern hemisphere: presence and life-history strategies of the transgenic zebrafish Danio rerio (Cypriniformes: Danionidae) in Brazil - André Lincoln Barroso Magalhães ; Marcelo Fulgêncio Guedes Brito ; Luiz Gustavo Martins Silva - 2022

https://www.infogm.org/7353-poissons-aquariums-ogm-dans-rivieres-bresiliennes - Christian Noisette - 2022

https://www.infogm.org/209-poissons-transgeniques-est-ce-bien-raisonnable

https://www.glofish.com/

https://www.infogm.org/209-poissons-transgeniques-est-ce-bien-raisonnable

 

 

 

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