L'oie de Toulouse sera-t-elle bientôt en voie de disparition ? Rencontre avec la famille ZANETTIN : ses derniers (?) sélectionneurs producteurs.
En arrivant en Gascogne, je m'attendais à trouver dans toutes les fermes la fameuse oie de Toulouse de type agricole.
Dans l'inconscient collectif des Français, qui dit Sud Ouest dit gastronomie, foie gras et bons vins. Il fut un temps où nos grands-parents ne connaissaient que le foie gras d'oie, qui rimait avec jours de fête.
D'ailleurs chaque printemps, mon grand-père achetait ses deux oisons gris à 45 F, qui étaient élevés avec amour à la cuisine, sous le radiateur, puis à la chaufferie et après un mois et demi, dans le verger, qu'ils tondaient parfaitement. Oies Grises, parce que cela signifiait « de Toulouse », donc les plus grosses et les meilleures. Dans les Régions humides de l'Est, pas question d'élever des dindons, bien trop fragiles, alors l'oie était le plat de roi du pauvre. On en mangeait qu'une fois l'an, en famille.
En 2010, j'eus beau parcourir la campagne, ma déception fut grande : très peu d'oies et celles rencontrées relevaient plus du mélange incontrôlé que de l'homogénéité qui sied aux races locales anciennes : des blanches de toutes tailles, des panachées, des grises de tous gabarits et même des huppées. Sur le logo du département du Gers : un crime contre l'Histoire : une oie blanche, alors que tous les écrits anciens vont dans le même sens : pendant des siècles, c'est l'oie grise, celle dite « de Toulouse » qui y fut la reine, avec toutes ses déclinaisons locales.
Il y a peu de races françaises bien connues à l'étranger : le canard de Rouen, le poulet de Bresse et l'Oie de Toulouse.
Ce que les autres Européens savent n'est même plus connu au niveau local.
Pour celui qui a conçu ce logo, c'est tout de même la honte. Peut-être encore une agence de pub bobo-parisienne ?
Je me demandais bien qu'elle était la cause de cette soudaine disparition, moi qui m'attendais à en trouver des milliers. Qui était le responsable ?
Pas le dindon Noir du Gers en tout cas, car pour lui c'est encore pire : pas un dindon qui court en campagne.
J'avais bien une présomption : à force de voir des milliers de canards mulards blancs, partout, je me doutais de quelque chose.
Mais c'est l'exceptionnel livre de Frédéric Duhart « De confits en foies gras, une histoire des oies et des canards du Sud Ouest » qui m'apporta la douloureuse confirmation : le canard mulard est en train de remplacer l'oie de Toulouse, dans une proportion tellement importante et rapide, qu'il pourrait la faire disparaître à terme si on n'y prend garde.
Il est inutile d'en donner toutes les causes : je vous laisse pour cela découvrir le livre de Frédéric Duhart. Citons en simplement quelques unes : la canard mulard coûte moins cher à produire, il grandit plus vite, il est plus facile à gaver. On est livré en canetons d'un jour par des couvoirs industriels. Et tout est tellement rationalisé qu'on connaît exactement le jour où la « bande » de canards, sera sacrifiée, ce qui permet de prendre quelques jours de vacances en attendant la bande suivante. Un quasi travail de salarié en somme.
Or, ce canard mulard n'existait quasiment pas jusque dans les année 1980, car il faut pour l'obtenir forcer un mâle canard de barbarie à s'accoupler avec des femelles d'autres races, ce qu'il ne fait pas s'il existe des femelles de sa race à proximité.
Aujourd'hui, avec l'insémination artificielle, tout est possible.
Bref, désormais, « produire de l'oie » revient quasiment à accepter de gagner moins d'argent que les autres, pour beaucoup plus de contraintes.
Même pour l'amoureux du terroir et des choses bien faites, on comprend que le dilemme soit cornélien.
La première fois que j'ai rencontré l'Oie de Toulouse en Gascogne, à la fois dans son type industriel et dans son type agricole, c'était à Toulouse, où plus exactement dans sa banlieue, à l'Union, à l'exposition des aviculteurs amateurs du Sud Ouest (USASO). A côté d'elles, figuraient en bonne place également les dindons Noirs du Gers, les poules Gasconnes et les pigeons Bleu de Gascogne et je me disais qu'une fois de plus, tout aurait disparu si les aviculteurs amateurs ne les avaient sauvées.
Cependant, un élément m'interpellait : dans le livre de Frédéric Duhart, il y avait plusieurs photos d'oies de Toulouse agricole « souche Zanettin » . Cette souche devait être vraiment connue pour se voir mise à l'honneur autant de fois.
Après mettre renseigné, j'appris que la famille Zanettin demeurait dans la Commune d'Aignan dans le Gers au lieudit Lartigue.
Une visite s'imposait.
Et je ne fut pas déçu.
Au milieu d'un paysage magnifique, digne du paradis perdu, s'ébattent en pleine nature sur des parcs de très grandes dimensions, protégées des prédateurs par une clôture électrique, environ 400 oies de Toulouse agricoles reproductrices. Pour que les œufs soient bien fécondés, il faut en moyenne un jars pour trois oies. Il y a plusieurs parquets reproducteurs différents. Et une partie de l'élevage est ailleurs car selon le proverbe « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ».
L'élevage se visite. Il s'agit d'un élevage familial réalisé dans le cadre du label rouge « Oies fermières du Gers ». Cela vaut le détour et vous apprendrez beaucoup de Claudine et Rémy Zanettin qui ont tout sacrifié pour continuer à sauvegarder ce patrimoine culturel inestimable. Pas facile de quitter un métier d'ingénieur pour reprendre une tradition familiale. Mais quand on a la foi chevillée au corps, rien n'est impossible.
J'ai rarement vu une telle technicité et une telle maîtrise de l'élevage. Et cela jusque dans le détail : une couveuse à tambour pour que l'œuf ne soit pas couvé toujours à la même place, car la température et/ou l'humidité n'est pas forcément la même à chaque endroit de la couveuse. Au cas où vous ne le sauriez pas, une oie pond une quinzaine d'oeufs, puis couve. Mais pour commencer seulement à pouvoir en vivre, il est nécessaire que l'oie ponde plus de quinze oeufs. La moyenne se situe entre 30 et 45. Et pour cela, il faut employer des trésors de savoir faire.
Pendant des années, il y a eu un problème : les oies commençaient à pondre en mars, mais personne ne voulait des oeufs ou des oisons avant mi mai. Cela représenta une perte économique importante.
En 2010, la famille Zanettin reste l'une des toutes dernières sélectionneuse d'oie grise de race « Toulouse Agricole sans bavette ».
Rémy Zanettin me confie que c'est à la fois un mal et un bien pour lui.
Un bien parce le carnet de commande est plein et il faut retenir ses jeunes un an à l'avance.
Un mal, parce que cela signifie qu'il n'y a quasiment plus d'éleveurs sélectionneurs professionnels et que le pool génétique va se restreindre au point que l'Oie de Toulouse agricole pourrait disparaître définitivement des fermes de Gascogne.
Une solution pourrait consister à lier la race ancienne et le terroir en les distinguant, pour l'œil du profane, grâce à une AOC.
Ensuite, pourquoi pas, il faudrait des couples de jeunes qui acceptent d'être formés et de reprendre une partie de la souche en fonctionnant en réseau.
Enfin, au lieu de distribuer des primes pour tout et n'importe quoi, l'Europe ferait mieux de soutenir les derniers producteurs qui comme la famille Zanettin maintiennent un patrimoine génétique, gastronomique et culturel vivant.
Mais, il est vrai qu'elle semble beaucoup plus sensibilisée par le lobbying dispendieux et incessant de protecteurs des animaux à buts végétariens que par la survie économique des milliers de personnes qui, écrasées sous le poids de la mondialisation, aimeraient simplement pouvoir continuer à en vivre.
Malheureusement aujourd'hui en France, à cause de toutes les contraintes, on ne produit que 40% du foie gras d'oie que les Français consomment. 60% est importé. C'est dire s'il y a de la place pour des jeunes un peu courageux.
En Allemagne, il existe plusieurs élevages professionnels d'oies de Toulouse type industriel, qui ont d'ailleurs souvent aussi d'autres races productives comme l'oie d'Emden, l'oie de Poméranie ou des poules du genre Welsumer, Marans, Sussex ou New Hampshire. Mais je ne connais pas, à l'étranger, d'élevages professionnels d'Oie de Toulouse agricole. Cela juste pour souligner que l'avenir de cette oie est fragile.
Souvent, on ne retient comme différence que « à bavette pour le type industriel et sans bavette pour le type agricole ». Ce serait embêtant de s'arrêter là. Le standard nous dit : « Oie sans bavette, un peu plus légère, taille et forme plus fines que le type industriel. Le volume n'exclut ni sa sveltesse des formes, ni l'agilité dans la démarche. D'une silhouette élégante, sa conformation est moins trapue que celle de l'oie de Toulouse du type industriel ». Les mâles doivent faire de 8 à 10 Kg, lorsque le type industriel pèse de 9 à 10 Kg. C'est surtout chez les femelles que la différence est plus sensible : 6 à 8 Kg pour l'agricole et 8 à 9 Kg pour l'industrielle.
En réalité, le type industriel actuel a surtout été façonné par les Anglais pour en faire un « Géant » chez lequel il n'est pas rare de voir des sujets au dessus des 10 Kg.
Le type industriel, plus spectaculaire, est aussi le plus rencontré en exposition.
L'Oie de Toulouse type agricole répond à des spécificités plus alimentaires. D'ailleurs, les reproducteurs ne sont pas sélectionnés que sur leurs aspects extérieurs : les agriculteurs procèdent à un pré gavage. Puis, ils palpent le ventre et le foie des sujets.
Ceux qui s'engraissent le plus et le mieux, ceux qui auront la meilleure conformation de foie sont gardés comme reproducteurs. Si on sélectionne la poule de Marans par l'œuf, on sélectionne l'Oie de Toulouse par le foie.
L'origine de cette oie ne se situe pas seulement dans la Région de Toulouse, mais dans tout le Sud Ouest : département de Haute Garonne, du Gers, du Tarn-et-Garonne, des Hautes Pyrénées, de Dordogne, de l'Ariège, etc.
D'ailleurs, pour la famille Zanettin, « son oie » est l'oie du Gers.
Pour en savoir plus sur les différentes branches locales de cette famille, le livre de F. Duhart est, là aussi, une mine de renseignements.
Economiquement, il ne faut pas se leurrer : on ne peut pas vivre que de la production d'oisons. C'est la production de foie gras qui permet de dégager un salaire pour chacun. Les premiers oisons sont gardés pour cela. Traditionnellement, dans le Gers, le gavage se fait avec du maïs blanc. Les foies gras ont ainsi une couleur laiteuse et la graisse est blanche.
Cependant, comme l'oie est de grande taille, la chair est abondante et les mets fabriqués multiples : confit d'oie, rillettes d'oie, pâté d'oie au poivre vert, Daube aux pruneaux, gésiers confits, sans oublier la graisse qui est abondamment utilisée pour faire cuire, à la place du beurre ou de la margarine, dans tous le Sud Ouest, la contrée, faut-il le rappeler, du « french paradox » : malgré une nourriture riche, l'un des endroits où il y a le moins de maladies cardiovasculaires.
Tous ces mets, vous pouvez bien entendu les commander à la ferme Zanettin.
Mais le mieux est encore de la visiter. Vous y apprendrez, de passionnés, une multitudes de choses sur l'oie, comme la manière naturelle d'empêcher une oie de couver, de la faire pondre à telle époque, les stades de la croissance des oisons et leurs besoins, etc.
Les végétariens idéologiques ne cessent d'essayer de nous culpabiliser en répétant dans tous les médias que pour sauver la planète, il ne faut plus manger de viande. C'est faux.
Ce qui est raisonnable, c'est de manger diversifié sans excès.
Il y a des viandes qui ont quasiment été abandonnées par une majorité de consommateurs : le lapin, le cheval, la perdrix, le pigeon, la caille, le cobaye, la chèvre, l'oie.
A l'heure où les médias vantent tant les mérites de la diversité, ils feraient bien d'expliquer qu'au lieu de manger du bœuf ou du porc tous les jours, on peut également manger des viandes variées et que c'est un véritable plaisir gastronomique que de les redécouvrir. Même si vous n'avez plus de grands-mères pour vous transmettre les recettes, ce n'est pas un prétexte : aujourd'hui vous trouverez tout sur internet.
La meilleure façon d'aider les races anciennes d'oies à survivre, c'est d'en manger !
Il y beaucoup de races d'oies en voie de disparition qui ont besoin de votre soutien : oie du Bourbonnais, du Poitou, des Flandres, de Bresse, d'Alsace, de Touraine, etc.
Soyez les ambassadeurs de l'Oie, cuisinez-en ou demandez à votre restaurant préféré d'en mettre à son menu !
Et si vous ne savez pas où en trouver, contactez ProNaturA France,
Nous vous mettrons en contact avec les derniers éleveurs d'Aignan et d'ailleurs.
EARL ZANETTIN Rémy et Claudine
Lieu dit Lartigue 32290 AIGNAN - ( 05 62 09 22 93)
Claudine et Rémy ZANETTIN présentent leur élevage ainsi :
En 1981 nous avons repris une toute petite exploitation (15 ha) familiale traditionnelle de polyculture-élevage-tabac vouée à la disparition. En permettant sa survie nous maintenions dans son milieu la génération précédente qui y avait vécu d'un dur labeur et nous limitions la dégradation du tissus rural déjà bien touché.
Pour y parvenir nous avons misé sur une production traditionnelle dans la famille, de haute qualité et semblant présenter un avenir : l'élevage, le gavage, la sélection de l'oie et la reproduction d'oisons.
La structure de l'exploitation a peu évolué : sur les 30 hectares actuels, 10 hectares servent de parcours pour les oies et 20 hectares pour la culture de céréales (blé, triticale, avoine, maïs) destinés à la nourriture de nos oies.
Nous sélectionnons nos reproducteurs, nous faisons pondre, nous faisons naître dans nos couvoirs. Nous commercialisons nos oisons auprès de nos clients. Nous élevons nos oisons et nos oies essentiellement avec les céréales que nous cultivons. Nous gavons nos oies. Tout ceci de manière traditionnelle, dans le respect de la nature, de ses cycles et du bien être des animaux. Pour la culture des céréales comme pour l'élevage, nous travaillons de manière raisonnable, en employant à bon escient un minimum de produits.
Après l'éclosion, nos oisons sont élevés en bâtiment et chauffés pendant quelques jours. A l'âge de 15 jours, si le temps le permet ils vont pacager sur des parcours herbeux et ombragés,
ils ne sont enfermés que pour la nuit. A partir de 4 semaines, l'accès au bâtiment est libre et l'enfermement réservé aux cas exceptionnels(orages violents, manipulation etc.). Devenues oies elles pèsent entre 6 et 8 kg et elles ont un âge minimum de 5 mois lors du gavage automnal ou hivernal au maïs blanc en grains.
Aujourd'hui, en plus des produits frais nous vous proposons des conserves traditionnelles transformées dans un atelier agréé.
Nous nous engageons à produire d'une manière raisonnable, de manière traditionnelle et à rester dans une production confidentielle que nous pouvons maîtriser en famille.
N'hésitez pas à commander leurs produits !