Côtoyer l’univers des Reines, c’est approcher et aborder un monde à part, un monde établi en altitude, un monde fait de rituels, de règles et de symboliques, un monde qui allie traditions et mouvements. L’élue de ce monde, c’est l’Hérens. Elle est issue d’une vallée des Alpes Valaisannes en Suisse, le Val d’Hérens.
Des traces de cette race ont été mis à jour en Valais datant de plus de 3000 ans. Son gabarit est petit, en moyenne 1,30 mètre au sacrum, ce qui lui permet d’atteindre une altitude de 3000 mètres pour pâturer. Sa tête enjôleuse, belle à mourir est dotée de cornes puissantes et de deux yeux expressifs et vifs comme l’éclair, l’ensemble est à vous faire frémir. Bref au premier regard vous tombez sous le charme, le coup de foudre vous envahit.
La répartition géographique de la race d’Hérens se situe en Valais (Suisse), au Val d’Aoste (Italie) et en France où l’on retrouve principalement ses effectifs au sein des Savoie et de l’Isère. Cette race est en France en plein développement. En 2014, nous comptions 531 femelles inscrites dans les effectifs. En cette fin d’année 2019, il est fort probable que nous dépassions le cap symbolique des 1000.
Un troupeau d’Hérens est une société matriarcale. Il est dirigé par une meneuse que l’on nomme communément la Reine.
Les batailles de Reines organisées par l’homme sont relativement récentes. La première s’est déroulée le 22/09/1922 à Montana en Valais.
A l’inverse, lors de la mise à l’herbe au printemps, le rituel naturel des batailles de Reines, rituel spécifique et propre à la race d’Hérens remonte à la nuit des temps.
En effet avant le départ pour l’alpage, l‘éleveur doit préalablement effectuer un mélange au sein de son troupeau afin de déterminer qui en sera la Reine. La future Reine doit être calme. Elle va rarement chercher son adversaire, elle attend que l’on vienne à elle. L’Hérens a besoin d’établir une hiérarchie marquée et stable.
Au cours des journées qui suivent le mélange, les vaches font connaissance et se testent mutuellement. La Reine peut confirmer sa position et faire l’unanimité, soit son trône peut être remis en cause et faire l’objet d’un renversement. Dans ce second cas le troupeau arrivera à l’alpage affaibli et la phase d’intégration avec les autres cheptels sera beaucoup plus délicate.
L’Hérens, experte en stratégie qu’elle est, sait très bien que pour gouverner et diriger ses congénères, ce n’est pas l’affaire d’une seule journée mais de plusieurs mois. Pour asseoir sa position, elle sera aidée par une garde rapprochée, ses lieutenantes. Elles l’aideront à remettre à leur place les protagonistes effrontées ou récalcitrantes prêtes à en découdre pour usurper le trône.
La Reine s’assure, en faisant le tour de toutes les vaches dans l’inalpe que personne ne conteste sa légitimité. Elle peut ainsi après avoir démontré sa puissance, faire tout l’étalage de son intelligence pour conduire son troupeau. Un troupeau sans Reine établie est instable. Il peut même être dangereux d’alper dans ces conditions suivant le contexte géographique rencontré.
Partant de l’observation de son rôle protecteur avec ses congénères, une poignée d’agriculteurs français qui pratiquent le pastoralisme en haute montagne dans des zones à risque, ont inséré avec leurs vaches laitières ou allaitantes une vache Hérens afin de protéger leur troupeau des attaques éventuelles du loup. Cette expérience conduite depuis 5 années fait l’objet en ce moment même d’une étude. Ce projet donne une orientation sociétale à cette race.
A l’heure où certaines exploitations agricoles ont défrayé la chronique par le gigantisme qu’elles ont engendré, les éleveurs de race Hérens se caractérisent par deux points à savoir une dimension familiale de leur outil de travail et beaucoup d’entre eux sont pluriactifs.
La gestion des alpages relève du collectif. Les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus sont dans l’intérêt du collectif contrairement à ce qui se fait dans les grandes exploitations où règne un esprit individualiste engendré et encadré par un système qui dépasse bien souvent l’agriculteur.
Nous pouvons également noter, qu’autour de la race Hérens se développe une cohésion sociale entre les humains. Cette évocation devient un véritable sujet de société et d’actualité alors qu’à contrario nous ne pouvons que constater malheureusement que les suicides d’agriculteurs isolés dans leur exploitation hyper dévorante sont devenus des faits divers voir tabous.
L’Hérens aura, au cours des prochaines années, un rôle de plus en plus important dans l’entretien et la protection environnementale des espaces naturels. En haute montagne, il n’y a pas d’agriculture intensive trop souvent synonyme de pollution et de dégradations du milieu naturel. L’implantation de la vache Hérens dans cet espace sera synonyme de respect du patrimoine qui nous a été transmis par nos aïeux.
Élever un troupeau d’Hérens, c’est sans doute remettre en cause ce qui nous a été inculqué, certains diront revenir à un passé pas si lointain, je dirai plus simplement faire un pas en arrière afin de prendre un autre chemin avec pour objectif une production de qualité tant sur les plans laitiers, fromagers et bouchers avec une valeur ajoutée garantie et oublier une logique de production en quantité aux coûts toujours plus bas.
De nos jours, nos espaces naturels en montagne sont recensés comme territoires où se côtoient agriculture, tourisme et économie. L’Hérens fait partie intégrante de ce territoire par sa production et grâce à sa participation à l’entretien de nos pâturages.
Elle préfigure par son rôle et son développement à une philosophie qu’auront les consommateurs de demain à savoir une consommation rationnelle et responsable, consommation qui donnera la priorité à la qualité, qualité qui doit être obtenue avec un impact positif environnemental.
L’Hérens s’inscrira dans une philosophie de vie dont la préoccupation première sera le respect de l’environnement et de son espace vital.
Notre objectif premier à nous éleveurs de vaches Hérens sera à très court terme de préparer l’avenir économique des produits issus de notre filière. En effet, l’Hérens pâture en altitude et sur des territoires qui peuvent être qualifiés quelquefois de sauvages. Les produits issus de cette race sont uniques et développent des qualités organoleptiques et nutritives exceptionnelles. Afin de vous mettre l’eau à la bouche, nous ne citerons que quelques produits comme le saucisson, la viande séchée, la raclette, le sérac et la tomme.
Nous sommes présents chaque année au salon de l’agriculture. Vous pourrez ainsi interroger et parler avec nos représentants. Ils seront ravis de partager avec vous leur passion. Si d’aventure vos vacances vous emportent dans nos régions alpestres et que vous êtes tentés par la découverte de cette race emblématique et par ses produits alors venez faire la connaissance de nos producteurs passionnés en Chartreuse, en Chablais, sur les contreforts de l’Oisans ou dans l’avant pays savoyard. Ils partageront avec vous cette passion qui est la nôtre.
Par ailleurs, vous êtes invités, public profane, à venir à la rencontre de l’Hérens et de leurs propriétaires au cours des mélanges et des montées à l’estive.
Vous découvrirez l’univers des Reines, univers fait de rituels, d’observations et de silence où seul le vent ou la respiration d’une Hérens se fait entendre. Cet univers est agrémenté par la passion, les tensions et les espoirs vécus d’une manière fusionnelle par l’éleveur pour le cœur et les yeux de sa Reine bien-aimée.
Gilles Dupenloup
Président Race Hérens France
Texte et photos : Gilles Dupenloup sauf mention contraire.
Président race Hérens France (2014-2020) - Éleveur en Haute-Savoie