Le ministre de l'agriculture répond à la question d'un sénateur
M. Michel Raison attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur le rapport publié le 24 novembre 2016 par le commissariat général au développement durable qui met en évidence la part de la production végétale française pouvant être attribuée à l'action d'insectes pollinisateurs.
(Question orale n° 1582S de M. Michel Raison (Haute-Saône - Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 08/12/2016 - page 5245)
Le travail des abeilles et des bourdons représenterait ainsi une valeur comprise entre 2,3 et 5,3 milliards d'euros par an, soit de 5,2 à 12 % de la valeur totale de la production végétale française.
Au delà de l'argument écologique - celui de la préservation de la biodiversité à laquelle la filière apicole contribue grandement, aux côtés des abeilles sauvages - c'est un argument économique qui plaide pour la mise en œuvre d'une véritable action politique et d'une stratégie partagée mobilisant l'ensemble des acteurs publics et privés.
Ainsi, apiculteurs professionnels et amateurs, services sanitaires et vétérinaires, agriculteurs, collectivités territoriales ont un rôle à jouer afin d'améliorer l'alimentation des abeilles.
De plus, la filière apicole est menacée par une multitude de facteurs, qu'ils soient naturels avec les conditions climatiques ou le développement de nouveaux prédateurs, ou artificiels avec l'intervention de l'homme dont certaines actions peuvent aussi tuer ou affaiblir les essaims, au travers par exemple de l'effet cocktail de certains produits de traitement.
Enfin, les recherches scientifiques ont accompli de grands progrès en termes de connaissance des causes de surmortalité, entraînant progressivement une meilleure organisation des services de prévention et de lutte tant à l'échelle locale qu'au niveau européen.
Pour être efficace, cette stratégie doit donc nécessairement être globale : processus d'homologation des produits de traitement, durcissement du cahier des charges des autorisation de mise sur le marché, création d'un réseau de surveillance avec des ruchers « témoins », identification de tous les apiculteurs amateurs, évolution des pratiques agricoles, etc.
C'est pourquoi il souhaite connaître les intentions précises du Gouvernement en termes de définition d'une stratégie nationale et sous quel délai celle-ci pourrait être mise en œuvre.
Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée dans le JO Sénat du 25/01/2017 - page 727
M. Michel Raison. Nous savons tous que les pollinisateurs, c'est-à-dire les abeilles domestiques, bien sûr, mais aussi tous les autres pollinisateurs sauvages, sont indispensables tant pour la biodiversité en général que pour leur valeur économique. Même si ce poids économique est difficile à évaluer, la plupart des experts l'estiment entre 3 millions et 5 millions d'euros.
Les recherches scientifiques progressent, mais on sait combien il est complexe de déterminer les causes de surmortalité des abeilles.
En effet, ces causes peuvent être multiples, s'enchevêtrent, voire s'additionnent parfois : nourriture, maladies en tous genres, fragilité propre à des abeilles qui sont peut-être plus fragiles qu'autrefois, car davantage sélectionnées, utilisation de certains produits de traitement ou de certains « cocktails » de produits plus sournois, car davantage méconnus.
Tous les acteurs doivent se mobiliser. Ils le font déjà, mais doivent encore progresser : je veux parler des apiculteurs, des pouvoirs publics, mais également des agriculteurs, non seulement parce qu'ils utilisent certains produits de traitement, mais aussi en raison de la façon actuelle de nourrir les abeilles. À l'époque des jachères, apiculteurs et agriculteurs se coordonnaient davantage sur le sujet.
Aujourd'hui, l'Institut national de la recherche agronomique – l'INRA –, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – l'ANSES – et les professionnels travaillent sur ce dossier. La France a également demandé à l'Autorité européenne de sécurité des aliments – l'EFSA – de durcir l'homologation des autorisations de mise sur le marché, en raison notamment des problèmes de « retour à la ruche ».
Cela étant, il est nécessaire aujourd'hui de créer un réseau de surveillance avec des ruches témoins, comme le demandent de nombreux spécialistes.
Il importe également de mieux identifier tous les apiculteurs amateurs en vue d'instaurer une véritable prophylaxie, comme pour les bovins, les équins et les ovins.
Il conviendrait, enfin, de mieux mobiliser les organismes professionnels agricoles, les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles, les FREDON, ou les groupements de défense sanitaire.
Monsieur le ministre, je sais que vous avez déjà travaillé sur le sujet. Aussi, mes questions seront simples : quelles sont les intentions du Gouvernement en termes de stratégie nationale interministérielle pour reconnaître la mission d'intérêt général assumée par la filière apicole ? Sous quel délai comptez-vous agir ? Pourquoi ne pas retenir la préservation des abeilles comme grande cause nationale, ce qui contribuerait évidemment à apporter des financements supplémentaires ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous me demandez de faire de la défense des abeilles une grande cause nationale. Je partage cet objectif. Quand je suis devenu ministre de l'agriculture, vous l'avez peut-être encore en tête, j'ai pris une première décision consistant à interdire un néonicotinoïde utilisé sous forme d'enrobage de semences de colza, plante mellifère, lequel avait un lien direct – cela avait été démontré par l'ANSES – sur la surmortalité des abeilles.
Cette première décision m'a ensuite permis d'obtenir le durcissement des autorisations de mise sur le marché d'un certain nombre de produits phytosanitaires à l'échelon européen, ainsi qu'un moratoire sur trois néonicotinoïdes utilisés sous forme d'enrobage de semences, justement pour protéger les abeilles. C'est ce qui a justifié la position que j'ai prise par la suite en faveur de l'interdiction généralisée de tous les néonicotinoïdes, question qui avait été débattue ici même dans le cadre de l'examen de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Ce n'est qu'à cette aune que j'avais fait ce choix.
Nous avions alors engagé un processus alternatif aux néonicotinoïdes, en ayant notamment recours à l'agro-écologie, de sorte que l'agriculture, de manière générale, puisse intégrer de nouvelles stratégies pour la production de plantes mellifères, et que l'on diversifie les semences utilisées.
Il convient de distinguer un enjeu spécifique, celui de la protection de la biodiversité des pollinisateurs et des abeilles, d'un second enjeu lié, lui, à la production de miel, dans la mesure où la France est un gros importateur de miel dont l'origine est souvent indéfinie ou indéterminée.
Nous ne pouvons plus continuer ainsi. C'est pourquoi j'ai mobilisé 40 millions d'euros sur une période de trois ans pour financer des actions visant à évaluer les situations génétique et sanitaire du cheptel d'abeilles en France. Le constat qui a été dressé révèle que la situation sanitaire de ce cheptel est mauvaise et qu'il est indispensable de l'améliorer.
De multiples facteurs viennent ajouter à la mortalité des abeilles. La chute énorme de la production de miel au cours du printemps dernier, un printemps catastrophique, en est la preuve. En 2015, la production de miel était remontée à un niveau estimé entre 16 000 et 17 000 tonnes, alors qu'elle est redescendue à 9 000 tonnes en 2016. Cela montre que les aléas climatiques ont aussi un impact !
Le 8 février prochain, je présenterai un nouveau plan pour l'apiculture, après celui qui a permis de mobiliser les 40 millions d'euros dont je viens de parler. Grâce à un certain nombre de financements européens, nous avons obtenu que 7,5 millions d'euros soient consacrés aux abeilles chaque année entre 2017 et 2019.
Cet argent devra servir à structurer la filière, à consacrer des moyens pour faire face aux enjeux sanitaires de manière générale, et à la question du développement du cheptel des abeilles, en particulier. Il faudra également faire en sorte que la nouvelle politique agricole commune, qui prévoit un verdissement de l'agriculture, ainsi qu'un certain nombre de mesures agroenvironnementales – les MAE –, contribue à soutenir ces stratégies de production visant l'augmentation du nombre des pollinisateurs, et permettre d'accroître la quantité de miel produit, à la condition néanmoins de mettre l'ordre nécessaire pour que nos concitoyens soient en mesure de mieux identifier l'origine du miel qu'ils consomment, et de parvenir à développer notre production nationale pour éviter de devoir massivement en importer.
Comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, l'amélioration de la situation passe aussi par une meilleure organisation de la filière en tant que telle, d'où la bataille que je mène pour organiser et structurer une interprofession du miel de France, qui permette de répondre à la demande des consommateurs et, surtout, aux besoins de développement du cheptel des pollinisateurs et des abeilles. Cela nous permettra de produire davantage de ce miel que nous aimons tant, celui que l'on consomme le matin, mais aussi parfois le midi ou le soir, quand on souffre d'une petite grippe ou d'un mal de gorge.
Nous sommes donc parfaitement d'accord pour faire de cet enjeu une cause nationale, monsieur le sénateur. C'est pourquoi je vous inviterai le 8 février prochain aux journées organisées par l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Il semble que nous soyons sur la même longueur d'onde. Au passage je vous informe que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable organisera une table ronde au Sénat pour mieux comprendre cette problématique.
Vous avez indiqué vouloir créer une interprofession de la filière française du miel. Dieu sait si c'est une bonne idée, notamment en raison des importations de miel très douteux et des perturbations que cela engendre.
Je tiens beaucoup à la prophylaxie et j'espère qu'elle sera rendue obligatoire. Si l'on n'avait pas imposé la prophylaxie pour les ovins, les porcins et les équins, ces animaux d'élevage souffriraient toujours de la brucellose, de la tuberculose et de nombreuses autres maladies, comme les abeilles aujourd'hui.